Maurice Fuzeau, alias « Marc », responsable aux réfractaires du Service du Travail Obligatoire (S.T.O.) de la Vienne

Laval institue le 16 février 1943 rendant le service du travail obligatoire (S.T.O.). Nombreux sont alors les réfractaires qui tentent de s’y soustraire comme en témoigne Maurice Fuzeau, allias « Marc » responsable aux réfractaires de la Vienne.

La définition de Maurice Fuzeau concernant la Résistance reste toujours :
« Savoir désobéir en conscience avec justice » et « France d’abord »

En 1988, Maurice Fuzeau ressort les cahiers d’écoliers sur lesquels sont rédigés, à partir de juin 1944, ses souvenirs de résistant.
Il rédige alors cette présentation : « Il y a longtemps, que j’avais envie d’écrire, ce que je sais, ce que j’ai vécu, ce que j’ai vu dans la Résistance.

Maurice Fuzeau résistant -3-

Pour bien comprendre la Résistance, il faut l’avoir vécue, y avoir participé activement, beaucoup ont tendance à confondre Maquis et Résistance, le maquis n’étant qu’un aboutissement d’une forme de résistance.
Les maquis ont été formés par des groupes de résistance et composés en grande partie par des réfractaires au Service du Travail Obligatoire…
Dans la Résistance depuis longtemps et ayant été nommé responsable départemental aux réfractaires du F.N.FNPTF le 23 juin 1943 pour la Vienne avec en plus l’arrondissement de Melle dans les Deux-Sèvres et la ville de Thouars et son canton, j’ai participé à la formation de plusieurs groupes de maquis dans la Vienne et les Deux-Sèvres, ayant dispatché une bonne partie des réfractaires que j’avais recensé et à qui j’avais établi de faux papiers d’identité.

…/…

La Résistance est « un tout », ce grand élan national, qui a beaucoup œuvré pour la Libération de la France et qui a payé un très lourd tribu par ses déportés, ses torturés, ses morts, victimes des atrocités de la barbarie Nazie. »

Voici un résumé de son journal :

Je suis né en 1922 au Plessis de Cerizay dans les Deux-Sèvres.
Gaulliste et anti-nazi, j’ai voulu m’engager dès que la guerre a été déclarée. J’étais mineur, mon tuteur et ma mère s’y sont opposés.
A la débâcle de l’armée française, j’ai beaucoup souffert moralement.

1940 :

J’avais dix-huit ans ; un groupe de tirailleurs marocains en débandade abandonna toutes ses armes près de Courlay à Jouctar. Avec mon camarade de travail nous somme allés récupérer une partie de ces armes. Nous les avons partagées, transportées à pied à travers champ (6 à 7 kms). J’ai caché ma part dans le grenier de chez ma mère puis les ai enterrées après les avoir graissées.

1941 :

Mon camarade me déçoit : il va travailler volontairement en Allemagne. J’ai peur qu’il me dénonce : il resta correct vis-à-vis de moi.

Jour de Pentecôte : Nous chargeons du fourrage réquisitionné par les Boches. Après le travail et quelques rasades de « gnole » qui nous mettent en gaité, nous avons un peu malmené une jeune réfugiée de Charleville devenue la maîtresse du Commandant Novack, chef de la Kommandatur. Les Boches sont venus nous chercher. Je me suis fait prendre avec un copain, nous avons passé la nuit, sans sévices, à l’école publique. Le lendemain, jour de foire de Cerizay. Les allemands « pas encore trop méchants »nous ont fait asseoir en haut du champ de foire, gardé par un soldat en arme, à la vue de tous. La popularité des compères a monté d‘un cran. Après avoir été relâché j’ai été sermonné par l’abbé Lerat : « …que des actes gratuits et cocardiers comme celui-là, n’apportaient rien, bien au contraire, mais qu’il avait beaucoup plus sérieux, sinon moins dangereux à faire » et il m’a posé la question de confiance.

Juin 41 : Je suis embauché chez un marchand de bestiaux et l’accompagnais à toutes les foires de la région. L’abbé Lerat me demande d’ouvrir l’œil, d’écouter et de lui rapporter ce que j’aurai remarqué en rapport avec les occupants. Il m’a envoyé dire au docteur Cacault à Bressuire de « lui remettre lors d’un passage son panier ». C’était la façon de faire savoir au docteur que s’il avait besoin, il pouvait compter sur moi.

1942 :

Octobre 42 : Dans l’intention de rejoindre l’Afrique ou l’Angleterre, je passe clandestinement la ligne de démarcation près de Langon. A Agen, je contracte un engagement de trois ans pour l’armée de Vichy (régiment d’Artillerie de DCA à Rabat). Mon départ n’aura pas lieu car les alliés ont débarqué en Afrique du Nord et les Vichyssois ne nous donnent pas la possibilité de les rejoindre. J’attends une opportunité me permettant de suivre mon idée, la vie militaire commence à Valence dans l’armée de Vichy sans enthousiasme.

11 novembre 42 : Les allemands envahissent la zone libre, occupent et désarment toutes les casernes sans que nulle part, aucune compagnie de l’armée de Vichy ne résiste, que je sache !
12 novembre 42 : Les allemands entrent dans la cour de la caserne en passant sous le drapeau français qui avait été descendu et quelques officiers (pas beaucoup) sont là, au garde-à-vous et saluent : c’est alors que spontanément et malgré moi, je suis allé gifler un capitaine et mon coup fait, je remonte tout tremblant dans la chambrée…/…Je suis convoqué par le lieutenant N. chez le capitaine M. Une sérieuse engueulade courte, il se lève, ferme la porte et devient paternel, me fait comprendre que mon geste aurait pu avoir de graves conséquence pour moi, me serre la main en me disant : « je ne dis pas pourquoi ! Vous le savez ! »
Quelques jours plus tard l’armée tout entière fut mise en congé de disponibilité. Chacun reçut une permission illimitée. Je revis M. et N., leur expliquait mon projet de passer en Afrique du Nord ou en Angleterre rejoindre de Gaulle. Ils me proposent de collaborer avec eux et de rejoindre la France Libre (ils en étaient). Je retourne à Cerizay puis décide de le rejoindre. Le contact a été arrêté entre-temps et ne peux les retrouver. De retour chez ma mère, je travaille au centre d’abatage de Bressuire où j’habitais.
Je voyais le docteur Cacault, pour lequel j’ai effectué quelques liaisons à Thouars, Parthenay, Gourgé, Cherveux, La Roche Tréjoux…

1943 :

Fin janvier : Le chef du personnel me propose un nouveau poste : « Il faut accepter cette offre, nous vous aiderons, vous serez beaucoup plus libre et il vous faudra aller à la campagne un peu partout » et avec un sourire « pour acheter des patates par exemple ». J’acceptais donc et tout alla pour le mieux. C’était une idée de Cacault.
Je suis allé à Thouars relever le plan du dépôt de Chemin de Fer de l’Etat et noter le nombre de locomotives et noter leur état. Après plusieurs visites, je fus remarqué par un responsable de la gare, M. Suirot, qui m’accosta : « Petit, tu vas te faire ramasser, fous le camp, et ne reviens plus par là, tiens, viens me voir à 15h. chez moi ». Son regard franc me décida à dire « OK ». Je me rendis chez lui pour la première fois, car sa maison devint une de mes principales planques et boîte à lettres. Il me donna un plan officiel du dépôt et le moyen d’obtenir des renseignements plus précis sur les locomotives.
Quelque temps après, le chef du personnel me conseilla de disparaître rapidement et me remis une somme d’argent ainsi que l’adresse d’une personne, M. Colmar de Parthenay, susceptible de me faire passer en Angleterre. Je ne dis rien à ma mère mais elle compris : « tu t’en vas ! Sois prudent ! pense à nous et reste honnête quoi qu’il arrive ! ».
J’ai pris contact avec Colmar, je me suis camouflé dans la campagne. Colmar était rentré au Front National et me fit connaître Melin. Je forme à ma propre initiative quelques groupes autonomes de réfractaires qui étaient camouflés dans les autres fermes. Je procure à certains de fausses cartes d’identité par mes propres moyens. J’en fis part à Melin qui me mit en relation avec Nicol, responsable des réfractaires pour le Front National dans les Deux-Sèvres. Je devins son adjoint pour l’arrondissement de Parthenay.

Un petit séjour incognito à Cerisay me permit de récupérer les armes cachées chez ma mère. Elles sévirent à armer le maquis de Secondigny, grâce à la complicité de deux employés de chemins de fer, M. Pain et Maurice. J’en profitais aussi pour lancer les bases du premier groupe FTP de la région avec « Jean-Luc » (Jean Leclère), Germain Soulard et Joseph Boche, que je fis connaître à Nicol chez ma mère.

Par la suite je fus nommé Responsable Départemental aux Réfractaires FN FTPF pour la Vienne. Le «grand patron » me dit : « tu sais, c’est dangereux, il faudra être adroit et très prudent. Ton rôle consiste à collecter tous les renseignements possibles sur les troupes d’occupation mais surtout organiser très sérieusement plusieurs filières d’évasion, pour les prisonniers évadés, les résistants grillés, les communistes et les juifs traqués, les aviateurs alliés américains, anglais, qui auraient été abattus sur la France lors de leur mission, en plus de la responsabilité principale – Responsable aux réfractaires départemental de la Vienne – ce qui consiste à déceler ceux déjà camouflés dans les fermes, aider ceux à la recherche de planques, leur procurer de fausses cartes d’identité et former de tous petits groupes susceptibles d’être au futur, conduits dans le maquis ».
Je ne revis le « grand patron » qu’une seule fois. C’est lui qi me remit mes premiers appointements d’Agent secret de la Résistance FN : 2780 francs par mois.
J’étais devenu « Marc », sous les ordres de « Christian », le responsable étant le Colonel Sidoux, « Antoine ». Le trio pour le Front National FTP de la Vienne était constitué, il restera ainsi jusqu’à la Libération.

C’est parti ! La grande aventure !

Tous les jours en vélo, je sillonne le département du Nord au Sud, d’Est en Ouest. Petit à petit je parviens à tisser une véritable toile d’araignée, détectant et organisant un bon pourcentage de réfractaires au S.T.O. et autres résistants. Mon supérieur, « Antoine Sidoux » me propose d’étendre mon réseau au canton de Thouars –où j’ai déjà une bonne planque chez M. Suirot – et l’arrondissement de Melle dans les Deux-Sèvres.
J’étoffais mon réseau, je trouvais un peu partout soit des réfractaires, soit d’autres personnes résistantes, qui devinrent « mes contacts locaux » voir régionaux, qui me procuraient tous les renseignements intéressants, distribuaient la presse clandestine que je leur fournissais et s’entraidaient pour planquer les réfractaires. Rapidement j’eus des planques dans tous les secteurs où l’on m’offrait gîte et couvert.

Certaines planques me servaient de boîte aux lettres, d’autres de rendez-vous (donnés par un contact sous forme de code que seul moi connaissais) avec Christian ou Sidoux.

J’ai participé à la libération de prisonniers du camp de Rouillé.

J’ai attaqué avec Papineau de Sanxay, une voiture allemande entre Rouillé et Lusignan.

Dans la forêt de Saint Sauvant était organisé un maquis. S’y trouvaient les libérés du camp de Rouillé, des réfractaires.

La ferme de Papineau, « La Briouze » de Sanxay fut brûlée le 27 juin 1944 suite à la libération du camp de Rouillé. Papineau fut tué. (les souvenirs de Maurice Fuzeau concernant cette tragédie seront rédigés dans un autre article)

Sans autorisation, j’ai participé à l’attaque de plusieurs convois allemands.

J’ai volé des armes à des allemands, j’ai participé à l’évasion de prisonniers politiques de l’Hôtel Dieu, j’ai aidé à l’organisation de parachutages, convoyage d’aviateurs américains, camouflage ‘évadées du camp de Limoges.

Ma planque et boîte à lettres principale était dans le secteur de Rouillé – Saint Sauvant, à la Chaptelière. De nombreux petits groupes de FTP travaillaient dans les champs le jour et partaient en coup de mains ou parachutage les nuits. Hommes et femmes étaient disponibles si besoins, efficaces et bons copains.

Nous récupérons des armes et du matériel pour sabotages, nous participons à des évasions de prisonniers politiques et avons organisé leur planque. Je fournis de vraies fausses cartes d’identité (entres autres à celui qui deviendra le grand acteur Robert Lamourux) Je fais passer dans la zone libre des résistants grillés, des juifs, des aviateurs abattus. Parmi eux, la femme d’un des grands chefs communiste et un couple de juif : c’est grâce à Jarry à Beaulieu, famille résistante avec abnégation, qui aurait mérité cent fois toutes les médailles et légions possible et que toute la Résistance a oublié. Nous nous occupons de parachutages. Nous réalisons des embuscades contre les convois allemands.
Beaucoup de ces missions sont effectuées avec Georges Debiais.
Les maquis se forment un peu partout, ceux déjà existants se grossissent puisque les parachutages, plus nombreux, permettent l’armement.

Je récupère mes réfractaires et les dispatche dans les groupes de maquis sous les ordres du colonel Bernard « Chêne » qui avait été désigné comme le chef des FFI.

De nombreuses fois j’ai remis à maman Lise (Maman de la Résistance, Mme Elise Arlot, vieille dame de Usson du Poitou) soit des aviateurs américains, anglais, canadiens, soit des résistants responsables qui étaient grillés, soit des juifs. Je les remettais aussi au docteur Rogeon ou je les conduisais moi-même à l’Etat Major qui était mobile mais presque toujours dans le triangle Montmorillon – Bussière Poitevine – Lussac Les Châteaux.

A partir de mai-juin, notre organisation était au courant d’à peu près 80% de ce qu’allaient faire les allemands. Un service de renseignement efficace à la Police et à la Préfecture et au Tribunal. Nous apprîmes que Antoine, Christian et Marc étaient recherchés. Nous avons changé de « look », abandonné certaines planques jugées dangereuses et bien sûr redoublé de prudence et d’attention.

Au début de l’organisation, nous appliquions une règle : Seules trois personnes devaient nous connaître dans la chaine. En cas d’arrestation d’un maillon, cela pouvait empêcher les enquêtes de la Gestapo de remonter à trop de personnes. Le temps aidant, chacun arrivait à connaître les autres.

« La conscience n’impose pas de se soumettre à tout ordre parce que c’est un ordre ! Mais de participer de manière responsable à l’ordre qui est conciliable avec sa conviction profonde de la justice et de la destinée de l’homme ! »

article rédigé et mis en lignes par Sabine Renard-Darson