LECLERCQ Louis, Ursmar, Albert
Parcours d’un engagé dans la marine, fait prisonnier, évadé, réfractaire au STO, résistant, arrêté, déporté et survivant.
Né le 4 février 1922 à Fives-Lille (Nord), Louis est le fils d’Albert LECLERCQ (vérificateur puis dessinateur) et de Juliette TOURNEL (née à Armentières). Louis a deux frères et une sœur ; Victor né en 1919 à Hellemmes-lez-Lille, Jeanne, née en 1921 au même lieu et Gaston né 1923 à Fives-Lille.
Des Bleuets à la Marine
En 1923, leur mère Juliette décède. Les trois garçons entrent aux « Bleuets (1)à Lille en 1927.
Leur père décède à son tour en 1935 à Armentières (Nord). Sa sœur Jeanne encore mineure est adoptée par Emile et Clémentine CLAEYS, originaire du Nord et habitant Migné-Auxances à Moulinet. Emile CLAEYS, cousin de la famille LECLERCQ, est un ancien combattant mutilé de la Première Guerre mondiale ; tandis que son jeune frère Gaston est recueilli à la mort de son père par leur tante Julienne TOURNEL à Rezé près de Nantes.
Dans les années précédant la guerre, Louis loge chez un industriel, Monsieur FELDMANN, 2 rue Edouard Delesalle à Lille et travaille à la fonderie en cuivre des établissements Sarazin, rue Charles Quint dans la même ville.
En 1940, il tente d’abord de fuir seul l’invasion allemande en vélo mais il est rattrapé à Aire-sur-la-Lys et il retourne dans sa famille à Lille.
Devant l’avancée des Allemands, Victor et Louis LECLERCQ quittent Lille, mais après l’armistice appliqué le 25 juin 1940, ils y reviennent.
Fin janvier 1941, réquisitionné pour aller travailler sur Dunkerque, Louis décide de s’enfuir en plein accord avec ses oncles tant paternel (Ursmar FELDMANN, son tuteur) que maternel (Louis TOURNEL, son parrain). Recherché par la police allemande, il fuit Lille. Deux voitures de six personnes tentent de passer la zone rouge(2) à Amiens (Somme). Une seule parvient à traverser la ligne qui sépare la zone interdite de la zone occupée, à Amiens le 2 février 1941.
Il prend le train à Paris pour Poitiers afin de rejoindre sa sœur qui vit chez son cousin et père adoptif, Emile CLAEYS, à Moulinet. Au cours de la nuit du 20 au 21 février 1941, il lui fait passer clandestinement la ligne de démarcation entre zone occupée et zone libre, du côté de Saint-Secondin. Louis se retrouve au Blanc (Indre), puis gagne Limoges (Haute-Vienne) où il signe un engagement volontaire dans la Marine Nationale le 4 mars. Il rejoint le port militaire de Toulon (Var) le 12 mars 1941 et reçoit son matricule : 1411.T.41.
Il embarque à Marseille sur le Sidi-Bel-Abbès, un transport de troupes.
Il fait ses classes au 7e dépôt à Casablanca (Maroc), du 25 mars au 30 août 1941.
Après une formation de canonnier sur un torpilleur à Casablanca, le 1er Septembre 1941 Louis est affecté à l’équipage du torpilleur d’escadre « Mameluck », du 31 août 1941 au 27 novembre 1942 comme matelot canonnier de 1ère classe.
Le 27 novembre 1942, la plus grande partie de la flotte française dont le « Mameluck » se saborde en rade de Toulon.
Fait prisonnier, Louis s’évade, part à Lyon puis retourne à Toulon se faire démobiliser.
La Résistance
Le 4 décembre 1942, Louis part rejoindre ses grands-parents maternels qui ont été évacués sur Nantes (Loire-Inférieure). Grâce à des cousins, il trouve un logement rue Vigier, dans le quartier du Pont-Rousseau à Rezé. Il travaille à l’usine d’aviation de Bouguenais, à côté du terrain d’aviation de Château-Bougon (aujourd’hui aéroport de Nantes-Atlantique). Cette usine travaille pour l’entreprise aéronautique allemande Heinkel. Louis y effectue quelques petits sabotages.
Ayant reçu plusieurs convocations au STO, il décide en juin 1943 d’entrer dans la clandestinité : il rejoint alors la Résistance.
Radioélectricien au terrain d’aviation de Château-Bougon, il est découvert après avoir saboté un avion expérimental. Prévenu à temps par son chef de groupe, « Monsieur Pierre« , de son vrai nom Bouvron, qu’il va être arrêté, il s’enfuit et rejoint de nouveau sa sœur à Moulinet.
Le couple CLAEYS l’héberge de nouveau. Émile CLAEYS fait partie du réseau « Libération Nord » commandé par le Lieutenant-Colonel DECARVILLE. Il y fait entrer Louis comme agent de liaison. Le chef départemental de ce réseau est Georges DELAUNAY qui habite au 14 route de Ligugé à Poitiers.
Celui-ci, ainsi que deux membres du réseau Centurie (Auguste Augé et André Joseph Collas) sont arrêtés le 4 août 1943 par la Gestapo. Un parachutage d’armes, pour le compte du réseau Centurie, prévu dans la nuit du 4 au 5 août 1943 doit avoir lieu à Quinçay. Louis fait partie de l’équipe de réception. Malheureusement, en l’absence de Delaunay et de Collas, natifs de Quinçay, les feux devant délimiter le terrain de réception sont mal positionnés et le parachutage n’a finalement pas lieu. Les différents membres du réseau sont arrêtés les uns après les autres.
Le 14 décembre 1943, les oies, d’ordinaire à l’extérieur, étant malheureusement rentrées n’ont pas criaillé à l’approche des Allemands. Non alarmés, les douze résistants réunis chez Emile CLAEYS sont arrêtés par la Gestapo, et internés à la prison de la Pierre-Levée à Poitiers (numéro 2141, cellule N°21, puis 26). Pendant quatre jours, du 14 au 17 décembre 1943, Louis est frappé par André BERCY et un membre français de la Gestapo. Malgré les coups, il ne parle pas.
Le 4 avril 1944, il est transféré au camp de Compiègne-Royallieu (Oise).
La Déportation
Le 27 avril 1944, Louis fait partie d’un convoi ferroviaire dit « des Tatoués(3) », à destination de l’Allemagne. Le trajet dure quatre jours. Les 1650 prisonniers enfermés dans des wagons à bestiaux n’ont pour toute nourriture que 27 gamelles à se partager. Le train arrive le 1er mai 1944 à sa destination finale, le camp d’Auschwitz-Birkenau. Louis y est interné, tatoué et portera tout le reste de sa vie le numéro 185875 sur son avant-bras gauche.
Le 13 mai 1944, la presque totalité du convoi dont il faisait partie est transférée, à part quelques dizaines de malades, au camp de Buchenwald. Il y reçoit le numéro 53448.
Puis, le 25 Mai 1944, une autre partie du convoi, soit un millier de déportés, comprenant Louis, est acheminée de Buchenwald vers le camp de Flossenbürg, situé à quelques kilomètres de la frontière tchèque. Louis y reçoit le numéro 9941. Il est affecté à un kommando au sein d’une usine d’aviation. Les prisonniers du camp sont sous les ordres de kapos allemands (prisonniers de droit commun). Ils ont droit uniquement à un litre de soupe, un peu de vulgaire pain et un quart de litre de café par jour pour 12 heures de travail consécutif.
Un jour, n’ayant pas atteint la production imposée, Louis est puni et est affecté pendant un mois et demi à un autre kommando au sein d’une carrière de granit. Le travail y est très pénible. C’est à cet endroit qu’il reçoit par deux fois la punition de 40 coups de bâton.
Le 24 décembre 1944, les prisonniers du camp de Flossenbürg assistent à un arbre de Noël illuminé au milieu du camp. Mais leurs gardiens SS leur ont réservé une surprise : six détenus, condamnés pour sabotage, sont pendus à côté du sapin.
Devant l’avancée des troupes alliées, les Allemands font évacuer le camp le 20 avril 1945. Les prisonniers parcourent à pied 120 kilomètres pendant quatre jours : la « Marche de la Mort (4) ». Gare à celui qui s’écroule de fatigue, il est automatiquement abattu par un soldat allemand.
Le 23 avril 1945, vers 10 heures, à cinq km de Cham (Bavière) Louis est libéré par la 5ème armée américaine commandée par le Général PATTON. Après plusieurs jours d’hospitalisation en Allemagne, il retrouve la France le 12 mai 1945.
Son évacuation sanitaire se termine à Poitiers le 18 mai 1945. Le chirurgien Joseph PERDOUX l’opère d’une blessure au front occasionnée par les coups reçus à la carrière de Flossenbürg.
À sa sortie de l’hôpital, le couple CLAEYS accepte de l’accueillir pendant toute la durée de sa convalescence.
La vie familiale et professionnelle.
En janvier 1945, sa sœur se marie avec un habitant de Migné-Auxances, Raymond CAULT, exerçant le métier d’agriculteur.
La même année, le 27 octobre, son frère Victor, boulanger, se marie à son tour à Migné-Auxances, avec Hélène GROUET, couturière.
Louis trouve alors un emploi de mécanicien ajusteur à la SAGAMP (société anonyme des garages & ateliers métallurgiques du Poitou), l’ancien établissement Lacombe, au 65 boulevard du Grand-Cerf à Poitiers.
Il se marie aussi avec une Mignanxoise, Jacqueline, Égyptienne, Marie COIRAULT(aide-secrétaire de mairie), le 4 mars 1946. Ils auront trois enfants : André, Albert, Louis, né le 25 décembre 1946, Jean-Louis, Jacques, né le 13 décembre 1951 et Françoise, Marie-Madeleine, Juliette, née le 26 janvier1957.
Il réside chez ses beaux-parents à Sigon, lieu-dit de Migné-Auxances. En août 1946, pour des raisons de santé, il doit interrompre son travail de mécanicien. Son état de santé précaire est certifié par un ancien résistant, le docteur Armand ROUX de Latillé. Quand son physique lui permet, Louis aide ses beaux-parents, André et Madeleine COIRAULT, à la culture sur une propriété de 15 hectares.
Fin 1953, il retourne dans le Nord et, le 1er janvier 1954, il entre à la succursale Panhard de la Madeleine-Lez-Lille qu’il quittera en Mars 1976, sous la marque Citroën.
En 1977, il revient à Migné-Auxances prendre sa retraite avec son épouse et habite la maison familiale au 27 rue de Sigon à Migné-Auxances.
Reconnaissances Nationales.
Il est nommé Chevalier de la Légion d’Honneur à la date du 7 janvier 1964, parution dans le journal officiel, édition du 15 janvier 1964.
Il obtient la Médaille militaire Guerre 39-45 en date du 25 mai 1960 – Décret paru dans le journal officiel, édition du 1er juin 1960.
Il gardera suite à sa déportation une santé précaire et bénéficiera d’une carte de grand invalide de guerre.
Âgé de 70 ans, Louis LECLERCQ décède le 19 janvier 1993 à Poitiers (Vienne).
- L’hôtel militaire des Bleuets est un hôtel particulier situé Place aux Bleuets à Lille, dans le département du Nord. Il doit sa dénomination à un ancien orphelinat créé en 1489, nommé la maison de La Grange, du nom de son fondateur, et dite des Bleuets à partir de 1660, en raison de la tenue bleue portée par les enfants. Il devient ensuite successivement un bureau de poinçon en 1740, un hôpital militaire en 1752, un collège municipal de 1781 à 1791, un magasin d’effets militaires en 1791, un collège de 1845 à 1852, puis un établissement à vocation militaire.
- Au nord, la France occupée est elle-même divisée en trois zones : la zone occupée proprement dite, la zone sous administration allemande directe (zone rouge), rattachée à la Belgique, et la zone annexée (Haut-Rhin, Bas-Rhin et Moselle, déjà détachés de la France, au terme de la guerre de 1870 et jusqu’en 1918). Ces trois départements, soumis à une forte pression assimilationniste, sont intégrés au IIIe Reich ; une frontière les sépare de la France. Nord et Pas-de-Calais dépendent de l’administration allemande à Bruxelles ; dans la perspective d’une « Europe nouvelle », Hitler pensait les intégrer à la Belgique pour constituer une province industrielle, tandis qu’il assignait à la France une vocation toute rurale.
- Le 27 avril 1944, un convoi dans lequel étaient entassés sans ménagement plus d’un millier de déportés quittait la gare de Compiègne. Si les convois précédents avaient pour destination des camps de travail, celui des déportés tatoués, ainsi nommés parce que le matricule de prisonnier avait été tatoué sur leur bras, prenait la direction du camp d’extermination d’Auschwitz. Au total, 1 655 hommes étaient ainsi promis à la mort par les nazis. Parmi eux, le poète Robert Desnos qui a écrit d’émouvantes lignes sur ce « sol de Compiègne ». Au lendemain de la Libération, seuls 798 d’entre eux sont rentrés en France. Le Mémorial de l’internement et de la déportation de Royallieu, à Compiègne, accueille une exposition de documents et de témoignages qui rappellent ce que fut ce convoi.
- Les « marches de la mort » eurent lieu à la fin de la Seconde Guerre mondiale lorsque les Alliés se rapprochaient des camps de concentration et d’extermination allemands. Les SS firent évacuer les occupants, en majorité juifs, de ces camps, dont Neuengamme et Auschwitz, afin de poursuivre le processus de concentration en Allemagne et le dissimuler aux yeux des Alliés. Les prisonniers, juifs ou non, déjà affaiblis par le travail, les privations ou les maladies risquaient la mort au cours de ces marches de transfert d’un camp vers un autre. Les camps situés en Autriche furent également concernés par ces déplacements de prisonniers effectués sous la conduite des gardiens. Les camps autrichiens retenaient des prisonniers de diverses nationalités, principalement réquisitionnés dans le cadre du Service du travail obligatoire.
Sources : – Archives départementales de la Vienne.
Sources : – André GUILLON, président de l’ADIF-FNDIR (Association de Déportés, Internés et Familles – Fédération Nationale des Déportés et Internés de la Résistance)
Notes relatées par son fils Jean-Louis :
Papa disait avec humour qu’il parlait deux langues : le français et le Ch’ti ; et les seuls mots d’allemand qu’il connaissait étaient son numéro tatoué. Sa fin de vie a été rythmée de cauchemars et ses dernières paroles avant d’être intubé pour assistance respiratoire ont été ils ne m’auront pas !