Camp de la route de Limoges : 3-Les Tsiganes « indésirables »
L’internement des Tsiganes marque une nouvelle étape du camp de la route de Limoges. Dès le 3 septembre 1940 une loi de Vichy confirme les lois de 1938 et 1939 relatives à l’internement et les durcit. Cette mesure est prise sans même que les autorités allemandes l’aient demandée. L’internement passe alors d’une logique d’exception à une logique d’exclusion voire d’élimination fondamentalement idéologique.
Alors que les Espagnols ont été dans l’ensemble bien tolérés, Tsiganes et gitans sont toujours rejetés par les populations. Les romanichels voleurs de poules d’hier sont devenus les manouches cambrioleurs d’aujourd’hui. Jean-Louis Bauer, âgé de dix ans au camp de la route de Limoges, rappelle que les champs sont le plus souvent interdits aux Tsiganes contraints de ranger leurs roulottes sur les bas-côtés des routes pour que leurs chevaux puissent en brouter l’herbe. Conscient de cette opinion fallacieuse, le préfet Bourgain, acquis à Vichy et aidé par le zèle des gendarmes et des dénonciations pour vols, va faire procéder efficacement à l’arrestation des Tsiganes et les concentrer au camp de la route de Limoges. Le camp est alors entouré de barbelés et les gardiens français y vont exercer une stricte surveillance ce qui n’empêchera pas 42 Tsiganes, autorisés à sortir pour assurer leur métier, de ne pas rentrer au camp le soir et de s’enfuir.
Dans le plus grand dénuement, certains pieds nus, adultes et enfants vont souffrir du manque de cette liberté qui leur est si chère, mais surtout de la faim et du froid. Ce n’est qu’en 1942 que l’inspecteur général de la santé signale : « …que les enfants internés au camp de la route de Limoges avaient des vêtements en loques et que la plupart d’entre eux étaient dépourvus de chaussures. Il n’est pas possible de laisser des enfants dans une situation aussi pénible. » Les mères s’ingénient à protéger leurs enfants. Madame Redcher Bauer est souvent de corvée de « pluches » pour tenter d’améliorer la pitance de son petit « Poulouche », surnom de Jean-Louis Bauer lorsqu’il était enfant. Surprise un jour à dérober un trognon de chou, elle est mise au cachot. Le jeune André Fernandez, du même âge que Poulouche, reçoit une volée de coups de bâton pour avoir chapardé deux ou trois pommes de terre. D’autres sont également bastonnés pour s’être approchés trop près des barbelés. Leur misère est accentuée par le manque de sanitaire et de moyens pour leur assurer une hygiène convenable et les enfants notamment sont dévorés par les poux et les maladies cutanées.
Ce n’est que deux ans après leur internement le 1er octobre 1942 qu’une école est provisoirement ouverte dans un baraquement. Mais c’est une école sans matériel, ni cahiers ni crayons. Poulouche aime y aller pour le chauffage et les gâteaux que donne le père Fleury qui a relayé l’abbé Chatard. Ils y dispensent le culte tout en s’efforçant de leur rendre la vie moins sombre. Les enfants apprécient également les sorties organisées par madame Lhuillier, instigatrice de l’école et mesdames Hubert et Richard qui l’aident dans cette tâche. En 1943, les enfants constitueront la moitié des effectifs du camp car cette année sera terrible pour les Tsiganes. Cette baisse notable de l’effectif des hommes s’explique par leur déplacement dans le cadre du STO mais aussi par leur déportation. Le 13 janvier 1943, avec 67 autres internés, Louis Simon et ses deux fils sont déportés à Sachsenhausen. Le 21 juin 1943, 25 internés dont les plus jeunes, Jean Graff, 15 ans et Emile Simon, 16 ans, troisième fils de la famille Simon, seront déportés à Buchenwald.
Le 29 décembre 1943, 304 Tsiganes du camp de la route de Limoges seront transférés au camp de Montreuil-Bellay dans le Maine-et-Loire en omnibus, sous la surveillance de 90 gendarmes. Une vingtaine d’entre eux resteront au camp de la route de Limoges. Ils ne seront libérés que deux mois après la libération de Poitiers. Ils tenteront d’obtenir réparation de la spoliation de leurs biens, maisons, roulottes, chevaux mais le Conseil d’Etat rejettera le 30 septembre 2020 la requête de deux associations de défense visant à les indemniser.
On peut saluer la pugnacité de Jean-Louis Bauer qui a réussi à immortaliser la souffrance des Tsiganes du camp de la route de Limoges par l’inauguration le 28 juillet 2010 de l’allée Jean-Louis Bauer en présence de son fils Tony Maumont-Bauer, de monsieur Claeys maire de Poitiers et des autorités préfectorales.
Autres sources :
Film : « Route de Limoges », Réalisation de Raphaël Pillosio, 2003, 39 min.
Le Picton 204, p1-14, article de Jacques Sigot : https://fnasat.centredoc.fr/doc_num.php?explnum_id=578