Dernière lettre de France Bloch-Sérazin

C’est en 1946 que ses écrits seront rapatriés grâce à la gardienne de la prison de Hambourg. ils sont au Musée de la Résistance.

France & Frédo Serazin

France Bloch-Sérazin aux époux Touchet, à ses amis
Prison de Hambourg-Wallanlagen (Allemagne)
12 février 1943

Mes amis,

Ce soir, je vais mourir ; à 9 heures, on m’exécutera. Je n’ai pas peur de quitter la vie, je ne veux seulement pas attacher ma pensée sur la douleur atroce que cela m’est de vous quitter tous, mes amis.
J’écris en même temps deux lettres, à papa et maman et à Frédo – ceci est pour vous, Monette chérie, pour toi, ma tante Maimaine, pour ma Claude, moitié de moi-même, pour mes bien-aimés Marianne et Michel, pour toi, mon Gérard, pour vous mes chéries… et vous tous.
J’écris deux autres lettres – arriveront-elles ? Je pense aussi à Berthe et à tous ceux que j’ai aimés.
Madame Dreyfus est la dernière amie que j’ai vue avant de quitter le sol français. Je l’embrasse.
Beaucoup de camarades vous renseigneront sur ce qu’a été notre, ma captivité. Je ne vous la raconte pas. Je n’en ai d’ailleurs pas envie. Ce que je veux, c’est vous dire au revoir. Je meurs sans peur. Encore une fois, la seule chose affreuse, c’est de se quitter. Je serai très forte jusqu’au bout, je vous le promets. Je suis fière de tous ceux qui sont déjà tombés, de tous ceux qui tombent chaque jour pour la libération.
Je vous demande à tous d’entourer maman et papa, de rester près de Frédo, de m’élever mon fils adoré. Il est à vous tous. Si tante Maimaine continue à voir Éliane, j’en suis heureuse. Merci à tous, mes amis bien-aimés.
Vous savez que j’ai eu une vie heureuse, une vie dont je n’ai rien, rien à regretter.
J’ai eu des amis et un amour, vous savez, et je meurs pour ma foi.
Je ne faillirai pas. Vous verrez tout ce que je ne verrai pas. Voyez-le et pensez à moi sans douleur. Je suis très très calme, heureuse, je n’oublie personne. S’il y en a que je n’ai pas nommés, cela ne veut pas dire que je les oublie. Je pense à vous tous, tous. Je vous aime, mes amours, mes amis, mes chéris, mon Roland.

France.

Antoinette Touchet et son mari cachaient et élevaient le fils de France Bloch-Sérazin, Roland. Il fut ensuite confié à ses grands-parents maternels, Jean-Richard et Marguerite Bloch.
Une note manuscrite de Mme Touchet accompagnait le don de la lettre au musée de la Résistance nationale : « Les deux lettres d’adieu de France Sérazin ne sont pas de son écriture. Ce sont des copies qui avaient été conservées par une surveillante de la prison de Hambourg. C’est une mission de rapatriement du ministère des Prisonniers et
Déportés qui les a retrouvées. »

Née à Paris en 1913, France Bloch-Sérazin appartient à une famille d’intellectuels : son père, Jean-Richard Bloch, est un écrivain et journaliste renommé, compagnon de route du PCF. En 1934, ayant obtenu une licence de la faculté des sciences de Paris, elle entre comme chercheur au laboratoire du professeur Urbain, à l’Institut de chimie. Elle adhère pen¬dant la guerre d’Espagne au Mouvement contre la guerre et le fascisme, puis au PCF, et épouse, en 1939, Frédo Sérazin, un ouvrier métallurgiste et militant communiste : le couple à un garçon, Roland, l’année suivante. Frédo est arrêté puis interné à la forteresse de Sisteron en mars 1940. Révoquée de son poste en octobre suivant, France doit donner des cours particuliers pour gagner sa vie. Dès 1941, entrée sous un faux nom au laboratoire d’identité judiciaire de la préfecture de police, elle participe à l’activité des premiers groupes de l’Organisation spéciale. En liaison avec Pierre Georges (futur colonel Fabien) et le colonel Dumont, elle installe un petit laboratoire clandestin dans son appartement, où elle fabrique les premiers engins explosifs des équipes parisiennes engagées dans la lutte armée. La police française, qui l’a identifiée et filée depuis janvier 1942, l’arrête le 16 mai suivant, ainsi que soixante-huit autres résistants. Torturée, elle est condamnée à mort par un tribunal militaire allemand en septembre 1942, dans un groupe de dix-neuf. Ses compagnons sont exécutés le mois suivant, mais elle-même est déportée en Allemagne et internée en forteresse à Liibeck. Elle est décapitée à la prison de Hambourg le 12 février 1943.
Frédo s’est évadé de Sisteron en mars 1941. Repris à Paris, il est emprisonné successivement à la Santé, à Fresnes, au camp de Choisel (Châteaubriant) et au camp de Voves (Eure-et-Loir). Il s’en évade en octobre 1943 et reprend le combat. La Gestapo l’assassine à Saint-Etienne en 1944. Le frère de France, Michel Bloch, a été arrêté et interné en février 1941, pour distribution de tracts ; il est libéré par les FFI en juin 1944. Quant aux parents de France, ils se sont réfugiés en avril 1941 en Union soviétique : son père est, tout au long de la guerre, l’une des voix françaises de Radio-Moscou.

Extrait de : « La vie à en mourir »
Guy Krivopissko, François Marcot
Lettres de fusillés (1941-1944)
Points – Seuil.

Note de Sabine Renard-Darson :

Un film,  » France Bloch et Frédo Sérazin », a été réalisé par Marie Cristiani pour FR3 Corse en 2005. Frédo et France se rencontrent en 1938. Elle est intellectuelle, chimiste, lui est ouvrier métallurgiste. Ils font parti de la Résistance dès 1940. Marie Cristani a crée un film original : photos-témoignages-lettres-articles de journaux-films construisent ce documentaire très émouvant. On y voit le père de France, l’écrivain Jean-Richard Bloch dans sa maison de la Mérigote de Poitiers. Eveline Bouix et Pierre Arditi prêtent leur voix à France et à Frédo. Ce film a été projeté aux lycéens du lycée Victor Hugo (France Bloch fut elle-même élève de ce lycée) de Poitiers le 9 mai 2006 dans le cadre de la Journée du Souvenir.