Douce France, Cher pays de mon enfance
Les sciences humaines, par la rigueur de leur démarche, sont les remparts aux interprétations pouvant conduire à de fausses lectures de l’histoire.
Il n’empêche que les vécus différents mais indispensables à la compréhension de cette époque de l’Occupation ne peuvent éviter des lectures différentes. C’est le cas du rôle de l’Église sous Vichy.
Bacqueville-en-Caux, été 1943.
Contraints de fuir Poitiers après les arrestations de mes parents par la SAP et une nouvelle commission rogatoire signée par le juge Bizière concernant ma mère, nous sommes recueillis en Normandie par ma tante, « Madame Lair ». Elle tient un commerce de presse et papeterie à Bacqueville-en-Caux entre le garage Carré et le garage Coudré. Le bourg est actif et la boutique animée par les habitants venus chercher « La Vigie Dieppoise », « Illustration » ou encore « Signal » pour les plus collaborationnistes. Les soldats allemands ne sont pas en reste et attendent leur Pariser Zeitung. La boutique est l’occasion d’échanges de propos divers mais anodins et prudents. Il est à ce jour question de la kermesse organisée avec le concours de la paroisse et des bénévoles aidés par le Secours National. Cette kermesse aura lieu au « Château ».
C’est vraiment l’ambiance de fête en ces jours moroses. La cour du « château » est occupée par des stands rudimentaires décorés par des guirlandes de fleurs vite fanées. Mes yeux d’enfant de huit ans s’émerveillent devant les calicots multicolores et la roue de bicyclette de la loterie. Les heureux gagnants empocheront les lots collectés chez les commerçants. Pas de stand de tir à la carabine évidemment, les armes étant interdites par l’occupant. Mais les deux stands de « tir à la gamelle », où chacun peut faire preuve de son adresse en démolissant les pyramides de boîtes de conserve vides, attirent les badauds.
Étrange ambiance en vérité où le plaisir insouciant des enfants se mêle aux conversations des adultes se félicitant de la réussite de la dernière procession. D’autres, ostensiblement, vantent le Secours National qui, par sa générosité, a su participer à la décoration en fournissant d’énormes cocardes tricolores. Cette proximité de l’Eglise et du pouvoir de Vichy n’est certes pas partagée par tous, mais l’on se tait prudemment car il n’est pas recommandé d’exprimer des opinions contraires à l’ordre nouveau à cette époque.
L’Église et Vichy
Dès le 25 juin 1940, à la cathédrale de Bordeaux, Monseigneur Feltin déclare : « Si nous avons été vaincus, c’est que peut-être nous n’étions plus soutenus, au fond de nos âmes, par ce triple idéal que sont trois grandes réalités : Dieu, la Patrie, la famille. »
Ce discours qui va inspirer le slogan « Travail, Famille, Patrie » est ensuite repris et martelé dans les cérémonies religieuses, les processions, qui attirent à nouveau les foules. On assiste alors à la remise en place symbolique du crucifix sur de nombreux monuments publics et même dans des classes. L’opération généralement menée à l’initiative du curé local comme une revanche sur la « République sans Dieu » touche d’abord et surtout les régions rurales, mais elle va prendre rapidement une ampleur nationale.
Claude Singer nous révèle que l’Église et l’État vichyste ont une proximité idéologique et des objectifs respectifs. Les principaux dignitaires de l’Église catholique partagent la même analyse.
« Quelques jours après la débâcle, Monseigneur Salièges, archevêque de Toulouse, va jusqu’à demander publiquement pardon pour avoir chassé Dieu de l’école (La Croix, 28 juin 1940) ».
Monseigneur Gerlier, archevêque de Lyon et Primat des Gaules, dénonce de son côté les erreurs du passé et prône clairement l’abandon de la neutralité laïque. Le ralliement de l’Église catholique à Pétain est sincère mais non désintéressé, ajoute Claude Singer, en citant Monseigneur Chollet, évêque de Cambrai, qui engage dès l’été 1940 des négociations avec les pouvoirs publics pour un concordat entre l’Église et l’État. L’évêque de Grenoble, Monseigneur Caillot, est l’un des premiers à saluer l’arrivée au pouvoir du Maréchal. Du haut de sa chaire, il s’écrie le 23 juin 1940 : « Voici que Dieu nous prend en pitié en nous donnant à l’heure suprême l’homme présidentiel qu’est le maréchal Pétain ». Claude Singer nous livre de nombreux autres exemples, sans autre commentaire, les paroles et les actes étant significatifs.
Jacques Duquesne, par contre, tente de suggérer les raisons du comportement de l’église dans son ouvrage « Les catholiques français sous l’occupation ». p 49 « Cependant le nonce apostolique Monseigneur Valerio entretenait avec le maréchal Pétain et son entourage les meilleures relations mais, par prudence, il suggérait que l’Eglise devait éviter de trop se compromettre avec ce régime qui n’était pas assuré de la durée. » Il s’emploie par ailleurs à justifier les raisons de l’adhésion à Vichy des catholiques qui retrouvent « de bonne foi » leurs propres principes dans ceux qu’affiche la Révolution Nationale de Vichy.
Monseigneur Edouard-Gabriel Mesguen, évêque de Poitiers, reprend la même antienne : « Mais c’est à la religion qu’est réservée la fonction transcendante de surélever les âmes, d’imposer dans la famille et la profession cet esprit chrétien… Seule la religion a qualité pour enseigner la soumission à l’autorité au nom d’une autorité suprême. » Et cette autorité suprême à l’époque c’est Pétain.
Cependant les catholiques de la résistance s’indignent de l’attitude des évêques pendant l’occupation. Ils ne pardonnent pas les actes d’allégeance du cardinal Suhard notamment sa participation personnelle aux obsèques nationales de Philippe Henriot le 1er juillet 1944.
A l’époque contemporaine, Notre- Dame de Paris reste un lieu privilégié de la sacralisation d’État surtout quand elle est investie par deux gouvernements aussi catholiques que Pétain et de Gaulle. A quatre mois d’intervalle en 1944 ces derniers s’y succèdent. Les catholiques résistants s’opposent alors à ce que l’évêque de Paris qui avait accueilli Pétain en mars 1944 y accueille de Gaulle et l’entrée de la cathédrale sera interdite au cardinal Suhard au dépit de De Gaulle privé de Te Deum.
« Le 26 août 1944 le général cherche à effacer toute la liturgie maréchaliste accumulée depuis 1940 et tapie dans les cathédrales du pays. C’était sans compter sur la hiérarchie catholique. Violemment expulsée de la libération de Paris avec le cardinal Suhard privé de Te Deum à Notre-Dame, elle parvint en 1951 par l’intermédiaire du cardinal Feltin à réimposer dans le sanctuaire national la figure de Pétain, Maréchal-victime.» Revue d’histoire N°78 p 208 éditeur Presse de Sciences Po.
Le pape Pie XII est fermement opposé à toute épuration des évêques de France, qu’il juge scandaleuse. Il charge Tardini de faire savoir à Paris que la décision de renvoyer le nonce apostolique sera considérée comme « un précédent fâcheux » et « un acte inamical » envers le Saint-Siège. Un nouveau nonce est alors diligenté à Paris, Monseigneur Angelo Roncelli. Il a la lourde tâche de négocier une liste noire d’une trentaine de noms d’évêques qui se sont incontestablement ralliés au régime de Pétain. Il s’acquitte fort bien de sa mission puisqu’il ne reste plus que sept noms parmi lesquels Monseigneur Feltin. Après une ultime entrevue avec de Gaulle, ce dernier accepte de sortir le cardinal Feltin de la liste et il ne reste plus que trois noms.
En juillet 1944, lorsqu’est créée la division SS française « Charlemagne », Jean de Mayol de Lupé fait le choix d’intégrer cette unité comme aumônier et reçoit le grade de Sturmbannfürer. Lors de la cérémonie de prestation de serment, il célèbre la messe et dédie son homélie à « notre très saint père le Pape et notre führer Adolphe Hitler ».
En avril 1945 il trouve refuge dans un couvent. Il est arrêté et remis au gouvernement français. Condamné à quinze ans de réclusion, il bénéficie d’une mesure de grâce en 1951 et se retire dans une maison religieuse à Versailles.
Dans ce contexte on ne peut que louer les prêtres qui, confrontés à leur hiérarchie et leur conscience, ont fait acte de résistance comme le père Fleury à Poitiers.
Sources : Souvenirs d’enfance (Bacqueville-en-Caux, été 1943)