ils ont aidé des enfants juifs – IV –
Le Père Jean Fleury (1905-1982)
Extraits d’une interview réalisée en 1982 :
« Arrivé à Poitiers en septembre 1941 j’étais chargé de l’aumônerie de la troisième division au collège St Joseph…
…A partir du 10 mai 1942, je suis allé régulièrement trois fois par semaine au camp de la route de Limoges où se trouvaient internés les nomades, gitans, tsiganes…
…dans le camp juif voisin, … Le 18 juillet 1942, sans doute en relation avec les évènements du vélodrome d’hiver à Paris, les femmes juives, déjà séparées de leurs maris qui se trouvaient en camp de travail à Saintes, furent transférées à Drancy, laissant leurs enfants à la charge d’un tout petit nombre de restantes.
C’est alors que je décidai d’aller me mettre à la disposition du rabbin Elie Bloch pour me rendre au camp juif chaque fois qu’il me serait possible ( Le rabbin dira de lui, sur un ton admiratif : « ça c’est un goy ! » ). Je me trouvais à pied d’œuvre pour y pénétrer, puisque la dernière baraque qui servait de chapelle aux gitans était contiguë au camp juif auquel on accédait par un portillon barbelé ou par un grand portail qui s’ouvrait parfois aux camions de ravitaillement.
Je ne raconterai pas toutes les péripéties ni les ruses de Sioux que je dus employer pour aller en fraude au camp juif, dans des conditions périlleuses puisque, je le savais depuis septembre 1942, les allemands parlaient de m’arrêter. Je veux simplement témoigner ma reconnaissance aux gitans et tsiganes qui m’ont permis de tromper la surveillance allemande et, quand les hommes ont été arrêtés, ce sont les jeunes eux-mêmes de douze ou quatorze ans qui m’ont aidé à passer. Ma reconnaissance envers eux est d’autant plus vive qu’en me protégeant moi-même, sans qu’ils pussent encore le savoir, ils m’ont permis de sauver de nombreuses vies humaines. S’il plait à Dieu, je le raconterai dans mes » Mémoires » qu’on me demande de tous côtés d’écrire. Que ma reconnaissance fraternelle aille aussi à toutes les personnes qui m’ont aidé à poursuivre mon travail et à sauver elles-mêmes des juifs souvent au péril de leur vie ! Grâce à Dieu, tous ceux que nous avons pu cacher ont été sauvés. »
Avec Hélène Durand, Constance de Saint-Seine et Germaine Ribière et des aides dans l’administration, il réussit à placer en lieu sûr de nombreux Juifs dont des enfants. Claire Chauveau à Iteuil qui cache deux enfants sera soutenue par ce réseau.
Une autre interview du jésuite apporte d’autres précisions :
« … Je veux seulement ici témoigner ma reconnaissance aux gitans et tziganes qui ont favorisé mon passage au camp juif. Je l’ai fait plus de deux cents fois avec la complicité des nomades toujours aux aguets pour me dire si les Allemands étaient là, ou pour me faire dire, si j’étais déjà au camp juif, qu’ils les voyaient arriver de loin, au travers des barbelés, sur la vaste place dénudée. Aussitôt, je changeais de camp et j’allai me réfugier dans les baraques des nomades où les Allemands, de toute la guerre, n’ont jamais mis les pieds, tellement ils avaient peur d’attraper des poux ou des épidémies. En ce qui me concerne, je n’ai attrapé ni les uns ni les autres mais, comme je le dis parfois à mes amis juifs, j’ai contracté un redoutable virus… social.
Le Père Fleury plantant l’arbre du Juste à Yad Vashem en Israël dans la forêt Elie Bloch. Avec le rabbin Elie Bloch, sa secrétaire Mlle Breidick et d’autres personnes de son équipe, notamment M. Friedmann et Mme Cerf, j’intervins pour faire sortir du camp un grand nombre d’enfants juifs. Nous ne pûmes malheureusement pas les placer dans des familles chrétiennes. Nous dûmes les confier à des familles juives courageuses, où ils furent contrôlés deux fois par semaine par la Gestapo, une autre fois par la police française. Je me souviens qu’un jour, nous en sortîmes dix-neuf, une autre fois, onze, en tout probablement une centaine. Lorsque le rabbin fut arrêté, je continuai mon travail avec sa secrétaire, Mlle Breidick, aujourd’hui Mme Dimant à Jérusalem.
La surveillance étroite à laquelle étaient soumis ces enfants et les familles qui les hébergeaient ne nous permit pas de les protéger efficacement, comme nous le fîmes pour tant d’autres que nous avons toujours soustraits aux recherches de la Gestapo. Ils furent malheureusement repris au cours de l’année 1943. Emmenés à Paris dans divers centres, notamment le centre Lamarck, un petit nombre seulement réussit à s’évader, ainsi les petites Barbanel, Welner, Zaydmann, les petits Stem, Bialek, Rozenblum… Le sort des autres fut tragique. Le 20 juillet 1944, les Allemands vinrent les prendre pour les emmener à Drancy. Ils ne devaient pas y rester. Le 31, ils partirent quatre cents dans un convoi qui devait les amener à Auschwitz … ».
Texte rédigé par Sabine Renard – Darson