Jean GAUTIER

Seul rescapé du groupe de cinq étudiants résistants de Poitiers, le groupe Tullius, qui assassina, dans la nuit du 13 mai 1941, le docteur Michel Guérin, collaborationniste.

Un jeune homme « de bonne famille »

Jean, Julien, François Gautier est né le 13 décembre 1922 à Auxerre (Yonne). Lorsque son père, Emile Gautier est nommé directeur de l’agence de la Banque Nationale pour le Commerce et l’Industrie (BNCI)[1] à Poitiers, la famille emménage boulevard Blossac. Jean est d’abord élève au lycée Henry IV (aujourd’hui collège Henri IV, rue Louis Renard) puis employé par l’agence bancaire dirigée par son père. Jean se lie d’amitié avec Roger, Pierre, Eloi Rieckert, né le 1er décembre 1921 à Paris, fils d’un ingénieur chimiste à la Pile Leclanché à Chasseneuil-du-Poitou. C’est est « un grand garçon bien découplé à l’œil franc, Il a les cheveux blonds et bouclés » écrit Maître Maurice Garçon dans son « Journal ». Très tôt, ils se joignent à d’autres jeunes gens qui manifestent leur opposition à l’occupation en chahutant lors de la projection des images de la propagande allemande au cinéma poitevin Le Castille. Dans la nuit du 20 au 21 novembre 1941, Jean Gautier coupe la drisse du drapeau nazi qui flotte en haut du mât dressé Place d’Armes (aujourd’hui Place du Maréchal-Leclerc) et le fait disparaître.

 Le 10 septembre 1942, son père Emile est arrêté et incarcéré à la prison de la Pierre-Levée lors de la chute du réseau de Louis Renard. Le 19 octobre, il est libéré. Les parents de Jean décident alors de passer en zone sud encore non occupée et s’installent à Lussac-les-Châteaux (Vienne). Mais leur fils qui s’attend à être convoqué pour le Service du Travail Obligatoire (STO) reste « camouflé » à Poitiers chez Eloi Rieckert.

Le parcours tragique d’un jeune résistant

 Tous deux forment le groupe Tullius avec trois autres étudiants, Jacques Massias, 19 ans, Jacques Delaunay et son frère Marc âgés respectivement de 21 et 20 ans et inscrits, le premier en médecine et le second en droit. Ils projettent d’enlever un médecin poitevin, le docteur Michel Guérin qui publie dans le journal collaborationniste L’Avenir de la Vienne des articles violemment anglophobes, antibolcheviques, antisémites et favorables à la Révolution Nationale sous les pseudonymes de Robert de Moustier et Pierre Chavigny. L’objectif du coup de main est de se faire remettre ses clés, de perquisitionner son appartement et de récupérer des documents hostiles à la Résistance. Ils l’attirent dans un guet-apens mais l’agression tourne mal et le docteur est assassiné.

A l’issue d’une enquête menée par les policiers de la « super SAP[2] » et suite à une dénonciation obtenue sous la torture, les cinq jeunes gens sont arrêtés le 5 août 1943 et conduits à la prison de la Pierre-Levée où ils sont sauvagement torturés par ces mêmes policiers. Ils finissent par avouer, sont transférés à Paris, incarcérés à Fresnes et traduits le 10 septembre 1943 devant le Tribunal d’Etat, juridiction spéciale créée par la loi du 7 septembre 1941. Ils sont accusés de l’assassinat du docteur Guérin et de la participation au déraillement d’un train allemand de matériel et d’armes et sont défendus par Mes de Fontenay, Darras-Parré, Mistouflet, Coquerel et Maurice Garçon, ténor du Barreau de l’époque qui est plus particulièrement l’avocat de Jean Gautier. Quatre, dont Jean Gautier, sont condamnés aux travaux forcés à perpétuité. Le cinquième, Jacques Delaunay, seulement guetteur le soir de l’agression, écope de vingt ans de travaux forcés.

La presse collaborationniste se déchaîne contre ce verdict jugé trop clément et les Nazis les traduisent en conseil de guerre le 24 septembre 1943 pour le sabotage de la ligne de chemin de fer le 11 juillet 1943 à Ligugé. Jacques Massias, Eloi Rieckert, Marc et Jacques Delaunay sont condamnés à mort et fusillés au Mont Valérien le 6 octobre 1943.

Le survivant du groupe Tullius

Pour Jean Gautier, la condamnation aux travaux forcés à perpétuité est maintenue. Il échappe donc au peloton d’exécution, qans doute à cause du témoignage du commissaire Rousselet, chef de la super SAP de Poitiers qui, devant le Tribunal d’Etat a déclaré que le jeune homme n’avait pas participé au sabotage de Ligugé. Or, après son arrestation le 25 mars 1946 et lors d’un des interrogatoires qui ont précédé son procès devant la Cour de Justice de la Vienne du 24 au 26 juin 1947, ce dernier a déclaré qu’il avait fait « un double faux témoignage en déclarant que le crime (la mort du Dr Guérin) n’était pas prémédité et que GAUTIER n’avait pas participé au déraillement de Ligugé ». S’il dit vrai, pourquoi a-t-il agi ainsi ? Il jette ainsi l’ombre d’un doute mais ses déclarations sont truffées de mensonges visant à réduire sa culpabilité. Il a échoué puisqu’il a été fusillé à Poitiers le 28 novembre 1947.

Emprisonné à la prison de Fontevrault, Jean Gautier s’en évade le 13 août 1944. La paix revenue, il poursuit une brillante carrière dans la banque en France et Outre-Mer et termine fondé de pouvoir puis administrateur de la Banque de France à Paris. Il est titulaire de la Légion d’Honneur, de la Croix de Guerre, de la Croix du Combattant Volontaire de la Résistance et de la Médaille des Evadés.

Retraité à Cannes, décède à Fréjus (Var) le 1er juin 1999.


[1] Aujourd’hui BNP-Paribas

[2] Section des Affaires Politiques : voir sur ce site l’article de Jacques Pirondeau.