La famille Cerf, des Mosellans évacués.
Mosellans juifs habitant Niedervisse, un village à 33 km à l’est de Metz, donc en zone rouge , les Cerf sont évacués à Lhommaizé dans la Vienne, le 2 septembre 1939. La famille est composée d’Arthur Cerf, son épouse Henriette et trois enfants, Alphonse, Colette et Norbert. Le père d’Arthur, Ernest les accompagne.
De la Moselle à la Vienne.
Alphonse est né le 31 décembre 1922 à Metz. Il apprend le français à l’école mais parle en dehors « un dialecte allemand ou un français massacré ».
Après la déclaration de guerre de la France à l’Allemagne, « … l’ordre d’évacuation (de la zone frontalière) arrive, nos mamans préparent nos balluchons. Le maire réquisitionne la voiture de mon père, car il y en a seulement deux dans notre village, pour évacuer les personnes âgées, handicapées ou malades. Nous quittons nos maisons tout ce qui faisait notre vie, libérant nos pauvres animaux, chiens et chats livrés à eux-mêmes, et nous nous éloignons, le cœur lourd de chagrin et d’inquiétude ».
La mère et les trois enfants embarquent dans un wagon à bestiaux à la gare de Thiaucourt et débarquent le 4 septembre à la gare de Lussac-les-Châteaux (Vienne). Après une nuit passée dans une grange, tous sont conduits en charrette à Lhommaizé où ils retrouvent des habitants de Niedervisse et Holling, autres communes mosellanes évacuées. D’abord logés dans une maison vide, ils répondent à la proposition d’une boulangère, madame Cherpreau qui les accueille chez elle et engage Alphonse, alors âgé de 17 ans qui a suivi précisément un apprentissage en boulangerie. Après la démobilisation d’Arthur, fin juin 1940, toute la famille, à l’exception d’Alphonse qui reste à Lhommaizé trouve refuge au domaine de La Roche, à Vouneuil-sous-Biard, chez madame de Saint-Seine[1] qui, en l’absence de son mari mobilisé gère la laiterie appartenant au couple.
Des changements incessants de domicile et d’emploi.
En pleine débâcle de l’armée française, il décide d’aller retrouver ses parents : 27 km à pied à parcourir de Lhommaizé à Poitiers où monsieur de Saint-Seine, démobilisé lui-aussi a confié aux parents Cerf la gérance d’une boutique, « Les produits de la ferme » qu’il a ouvert au 53 Grand’Rue. Après son installation à Poitiers, Alphonse est engagé par une boulangère, madame Bautz, tout près de la boutique que monsieur de Saint-Seine, démobilisé, a ouvert au numéro 53 de cette rue. Puis, probablement après la démobilisation de monsieur Bautz, il travaille à « La Panification Poitevine » qui fournit du pain « aux prisonniers de La Cueille »[2]. Ils rencontrent alors le rabbin Elie Bloch[3] « son béret basque et son sac tyrolien sur le dos » qui collecte de la nourriture pour les juifs internés dans le camp de la route de Limoges.
En octobre 1940, les Cerf se font enregistrer comme juifs à la préfecture[4]. Alphonse part alors dans les bois de Dissay pour travailler dans l’entreprise Estève qui produit du charbon de bois puis à Aubigny (Deux-Sèvres) où il travaille de nouveau dans une boulangerie. Il revient à Poitiers mais, refusant de porter l’étoile jaune, il décide de gagner la zone non occupée. Il passe clandestinement la ligne de démarcation entre Dienné et Fleuré.
Il espère retrouver du travail à la boulangerie de Lhommaizé. Malheureusement la famille Cherpreau a cédé le commerce. Alphonse trouve quand même un emploi sur la commune, dans la ferme de la Châtre, route de Morthemer puis, par l’intermédiaire des Meyer, évacués mosellans qui ne sont pas repartis, à la Grange du Bois, chez les Thiollet, commune de Saint-Laurent-de-Jourdes. Afin de rendre visite à sa famille à Poitiers, Alphonse franchit trois fois clandestinement la ligne de démarcation près de Chiré-les-Bois.
Au début de 1943, convoqué à la préfecture de Limoges pour le Service du Travail Obligatoire (STO), il échappe au départ en Allemagne grâce à Luc Lévêque[5] et reste encore un an à la Grange du Bois. Mais au début de 1944, le brigadier Rogeon, de la gendarmerie de Lhommaizé vient le prévenir qu’il risque d’être arrêté et lui conseille de partir pour Moussac-sur-Vienne afin de rejoindre ses parents. La commune est en effet du ressort de la brigade de L’Isle-Jourdain commandée par l’adjudant Coustans[6] qui ne le pourchassera pas. A Moussac, Alphonse travaille chez un boucher puis dans une ferme.
Des maquis du Sud-Vienne à la poche de Saint-Nazaire.
Le 12 juin 1944, il décide de rejoindre la Résistance. Rendez-vous est pris au bord de la Vienne avec un pêcheur qui le conduit en forêt de Nérignac (Vienne) où il s’enrôle dans le maquis Adolphe commandé par le capitaine F.F.I. Colin. Trois autres Mosellans vont aussi rejoindre le maquis Adolphe : Jean Leslinger, Joseph Weis, réfugiés à Bouresse et Paul Alix « déserteur de la Luftwaffe revenu de Moselle pour une jeune fille de Moussac ».
Le 4 août 1944, Alphonse est dans le second camion pris sous le feu des soldats allemands au Vigeant. Il parvient à s’en extraire mais son ami Paul Alix, blessé à côté de lui va mourir carbonisé dans le véhicule en feu. Après avoir récupéré des armes cachées dans l’usine hydro-électrique de l’Isle-Jourdain, le groupe de survivants assiste, impuissant, à l’incendie du village du Vigeant[7].
Le 10 septembre 1944, il participe au défilé de la Libération de Poitiers puis s’engage dans le 125e Régiment d’infanterie de l’armée régulière. Le régiment part sur le front de l’Atlantique, dans le secteur de la poche de Saint-Nazaire. Il cantonne à Fresnay-en-Retz puis à Sainte-Pazanne (Loire-Atlantique à l’époque Loire-inférieure). Alphonse est capturé dans une ferme le 21 décembre 1944 à 7 heures et enfermé dans une grange avec cinq camarades et le fermier qui les hébergeait. A 11h30, tous sont placés devant un peloton d’exécution composé de six soldats allemands. Mais l’officier chargé de le commander sursoit au dernier moment à l’exécution et les prisonniers sont de alors conduits à Saint-Nazaire. Ils y mènent jusqu’au 9 mai 1945 la vie des prisonniers de guerre, hébergés dans des locaux infestés de rats, mal nourris et soumis à diverses corvées. Avec la fin de la guerre, Alphonse est conduit à Nantes. Il retrouve le 125e Régiment d’infanterie et le capitaine Colin le ramène à Poitiers, au logement attribué à ses parents 63 rue des Feuillants.
De Poitiers à Jérusalem.
La paix revenue, Alphonse Cerf retourne à Niedervisse, son village natal en Moselle. Il se marie et a cinq enfants. En 1978, il choisit de vivre à Jérusalem. Sa sœur Colette, son frère Norbert et lui reviennent une dernière fois à Poitiers le 18 mars 2001 pour la remise de la médaille des Justes parmi les Nations à Jacqueline Thibault-Bidegorry[8], Roger Gautron[9] et ses parents
Alphonse Cerf décède en juillet 2011 à Jérusalem.
Source : témoignage d’Alphonse Cerf enregistré sur K7 audio adressée depuis Jérusalem à madame Luce Popin de Lhommaizé qui a échangé avec lui pendant plus de 11 ans.
Documentation :
Exposition sur les Justes parmi les Nations dans la Vienne, Association « Valorisation et Animation du Patrimoine Rural entre Vienne et Moulière » (VARPM)/ Musée de la Seconde Guerre mondiale dans la Vienne, Tercé (Vienne).
Sites :
http://www.judaisme-alsalor.fr/histoire/rabbins/hazanim/al-cerf/exode.htm
VRID Mémorial
Herodote.net
[1]Le comte Germain Le Gouz de Saint Seine et son épouse Simone ont été reconnus Justes parmi les Nations le 27 mars 1979.
[2] Alphonse Cerf nomme ainsi le camp de la Chauvinerie où ont été enfermés du 20 juillet 1940 au 7 avril 1942 des prisonniers de l’armée française originaires d’Afrique noire et du Maghreb, de Madagascar, des Antilles et d’Indochine.
[3] Aumônier des juifs évacués, responsable de l’UGIF se dépense sans compter pour ses coreligionnaires internés au camp de la route de Limoges avec le soutien du Père Fleury et de son réseau. Il est arrêté avec sa fille le 11 février 1943 après l’arrestation de son épouse le 22 janvier 1943. Internés à Poitiers puis à Drancy, ils sont déportés le 17 décembre 1943 à Auschwitz où ils sont assassinés. (vrid-memorial.com)
[4] La loi du gouvernement de Vichy sur le statut des Juifs a été publiée, au Journal officiel le 18 octobre 1940 mais est datée du 3 octobre ; celle qui impose le recensement des juifs en zone occupée et en zone libre date du 2 juin 1941. L’étoile jaune est imposée en zone occupée par la huitième ordonnance du Commandement militaire allemand datée du 28 mai 1942 et appliquée à partir du 7 juin. Les parents d’Alphonse Cerf doivent quitter la boutique de la Grand’Rue. Avertis en novembre 1943 de l’imminence d’une rafle par madame Marie-Hélène Mazellier, employée à la préfecture (reconnue Juste parmi les Nations le 25 octobre 1978) et le père Jean Fleury (reconnu Juste parmi les Nations le 24 mars 1964), ils passent la ligne de démarcation et se réfugient à Moussac-sur-Vienne.
[5] Maire de La Chapelle-Morthemer en 1929, conseiller général et député de 1936 à 1942, destitué par Vichy, à nouveau député de 1945 à1949.
[6] Mathias Coustans arrêté à l’Isle-Jourdain en Juillet 1944, torturé et déporté à Buchenwald, exécuté en avril 1945.
[7] 27 maisons incendiées, pillage de tout le village, 20 maquisards tués au combat, 22 civils exécutés.
[8] Gaston Thibault et sa fille Jacqueline, épouse Bidégorry, employée à la Banque de France ont aussi apporté leur soutien au Père Fleury pour aider les internés juifs du camp de la route de Limoges à Poitiers et ont été reconnus Justes parmi les Nations le 7 février 2000.
[9] Roger est le fils d’Auguste et Rachel Gautron, fermier au lieu-dit « Le Planty » près de Poitiers. Sa sœur Louisette, 15 ans avait le même âge que Colette Cerf. Toute la famille et la sœur de Rachel, à Aubigny ont aidé et caché la famille Cerf. Auguste, Rachel et Roger Gautron ont été reconnus Justes parmi les Nations le 3 août 2000.