Le crime du château du Porteau
En août 1944, un ordre de repli général est donné aux unités allemandes stationnées dans le Sud-Ouest. Dès lors, Poitiers sert d’étape et de cantonnement pour les forces allemandes et les collaborateurs en route vers l’Est de la France et l’Allemagne.
Le 18 août, des miliciens bordelais, commandés par Lucien Dehan, logent provisoirement au château du Porteau appartenant au comte de Saint-Seine (aujourd’hui l’Ensemble scolaire Isaac de l’Étoile), situé à la périphérie de la ville, au-dessus des rochers dominant le Clain. Le château a été réquisitionné par les Allemands et des Hindous y sont déjà installés. Ces Hindous ont été amenés par l’armée britannique pour combattre à ses côtés en Afrique du Nord. Faits prisonniers par l’Afrika Korps, ils ont été intégrés comme brigades auxiliaires de la Wehrmacht, transférés en Europe pour surveiller le mur de l’Atlantique, puis inclus dans la Waffen-SS. Redoutés par les populations, ils sèment la terreur, en pillant, en incendiant les maisons et en violant les femmes.
Le 22 août, Dehan et deux autres miliciens, Jean Guilbeau et Jacques Lacouture, tous les trois habillés en civil, sont attablés à la terrasse du café du Jet d’Eau, place d’Armes (aujourd’hui place du Maréchal-Leclerc), au centre-ville de Poitiers. Ils écoutent les conversations. Pierre Gendrault, employé de bureau, est à la table voisine. Parlant avec des amis, il se réjouit de l’avancée des Alliés et de la prochaine défaite des Allemands. Aussitôt Guilbeau l’aborde, la carte de milicien dans une main, un pistolet dans l’autre, et lui dit : « Milice, suivez-moi ! »
Pierre Gendrault est emmené au siège de la Milice poitevine, situé tout près du café. Il est descendu aussitôt à la cave et attaché sur une chaise. L’interrogatoire commence. Guilbeau demande à Gendrault les noms des « terroristes » qu’il connaît. L’employé de bureau se tait. Le milicien relève alors jusqu’au genou le pantalon de sa victime et place une bougie allumée contre l’une de ses jambes. La chair grésille. Gendreault hurle. Quand la jambe est brûlée jusqu’à l’os, le malheureux parle. Il donne des noms que Guilbeau note soigneusement dans un carnet.
À ce moment, intervient un autre milicien bordelais, nommé Tournadour qui reproche à Guilbeau de ne pas s’y prendre comme il faut. À coups de pied, à coup de poing, il se jette sur le prisonnier qui, le nez écrasé, le visage tuméfié « gémit comme une bête. Pour ne pas demeurer en reste, Guilbeau casse le bras de Gendrault avec un tisonnier. Puis les deux compères découpent au canif des lambeaux de chair sur le dos et les jambes du supplicié, avant de l’abandonner pour aller casser la croûte.
Les renseignements arrachés à Gendrault permettent aux miliciens de mettre la main sur Jules Basile, imprimeur à Poitiers, et sur son employée Melle G. Puis ils arrêtent M. Trinquart et le chef de district de l’approvisionnement, M. Fradet.
Le matin du 23, Lacouture va déjeuner au restaurant du Chapon Fin, à côté de l’Hôtel de ville. Là, il engage la conversation avec le notaire Henri Darres. Celui-ci, mis en confiance par les professions de foi antiallemandes du milicien, ne cache pas ses sympathies pour la Résistance. Il est arrêté à la fin du repas et conduit au château du Porteau où se trouvent déjà les autres personnes qui ont été appréhendées.
L’après-midi, les prisonniers sont emmenés dans le grand salon du château. Les miliciens les dépouillent de leur argent et de leurs objets de valeur, puis les frappent à coups de poing et à coups de pied. Comme Melle G. proteste, le milicien Marcel Fouquey lui déclare : « Reste tranquille la môme, car on sait aussi traiter les femmes ». Quand elle demande à voir le chef, Fouquey lui répond : « Nous n’avons pas de chef, nous sommes les seuls maîtres ici ».
L’équipe passe la soirée à dévaliser les caves du château, à boire, à manger et à chanter. Puis des scènes d’horreur sans nom se déroulent au cours de la nuit. Un Allemand qui en est témoin, le Sarrois Becker, note sur son carnet : « Cette nuit fut l’une des plus affreuses de ma vie ». Dehan et un officier allemand, le capitaine Gartner, mènent le jeu. Autour d’eux, les principaux tortionnaires, tous miliciens, sont Guilbeau, Tournadour, Lacouture, Fouquey et Pierre Beyrand.
À 23 heures, les miliciens vont chercher Jules Basile qui était enfermé dans la chapelle, en lui disant : « Viens ici, p’tite tête, on va te faire voir du pays ». Mis à nu, il est poussé dans la cour du château, près du puits. Ses bourreaux lui ordonnent de désigner ses complices. Il refuse. Guilbeau ou bien Tournadour, lui annonce, en lui montrant le puits : « Tu as trente secondes pour te décider, ou tu parles ou tu vas au fond ». Guilbeau applique le canon de son revolver sur la tempe de l’imprimeur et Tournadour qui tient une montre en main, compte les secondes : « … plus que dix…, plus que cinq… » À la fin, Guilbeau ne tire pas ; il assène un violent coup de crosse sur l’arcade sourcilière de Basile qui s’effondre, le visage en sang. Le simulacre d’exécution n’ayant rien donné, les tortionnaires le fouettent avec un ceinturon et le « travaillent » avec des pincettes portées au rouge. Le prisonnier, brûlé au troisième degré, hurle de douleur. On entend ses cris jusque dans le château. Une heure plus tard, Fouquey vient dans le salon où le capitaine SS Werner Gartner est en train d’écouter la radio et lui dit :
« Basile ne veut rien avouer.
– En tout cas, répond l’Allemand, je ne veux pas entendre de bruit.
– Très bien, réplique Fouquey, j’ai tout ce qu’il faut ».
De retour dans la cour, il fracasse la tête de Basile avec un maillet de bois. Quand les hurlements recommencent, Fouquey et Tournadour lui crèvent les yeux, puis jettent le corps dans le puits.
C’est ensuite le tour d’Henri Darres et de Pierre Gendrault qui ne peut plus marcher. Les deux hommes sont traînés par les cheveux dans la cour. Eux aussi sont mis à nu et cravachés, frappés à coup de poing et brûlés avec des pincettes. Leurs tortionnaires les achèvent en brisant le crâne à coups de maillet et en leur crevant les yeux. Les cadavres sont jetés dans le puits.
Reste Melle G. À quatre heures du matin, elle est interrogée par Dehan qui a revêtu un uniforme allemand. La jeune femme est évidemment mise à nu. Son bourreau a beau cogner, elle ne veut pas parler. Il appelle à la rescousse un Hindou qui s’applique à l’étrangler, mais sans succès. Finalement, elle est livrée à une cinquantaine d’Hindous qui se jettent sur elle pour lui faire subir les brutalités qu’on imagine. Les cinq autres prisonniers sont libérés sans avoir subi de sévices graves.
L’après-midi du 24 août, Dehan et son équipe de brutes sadiques font partie de la colonne de miliciens qui, en provenance de toute la région et sous le commandement de Louis Aussenac, chef régional de la Milice, quitte Poitiers pour gagner l’Est de la France, puis l’Allemagne.
Les corps des trois victimes sont retirés du puits par des sapeur-pompiers le 8 septembre 1944, au lendemain de la libération de Poitiers, et une plaque commémorative fut apposée peu de temps après.
Le 8 février 1950, trois des miliciens tortionnaires : Dehan, Fouquey et Guilbeau sont condamnés à la peine de mort par le tribunal militaire de Bordeaux et fusillés. Beyrand est condamné aux travaux forcés à perpétuité. Lacouture qui est en fuite est condamné à mort par contumace. Le 17 juin 1950, le capitaine Gartner est condamné par le même tribunal militaire à dix ans de travaux forcés. Tournadour avait été fusillé au stand de tir de Verthamon à Pessac, près de Bordeaux, en 1946.
Jules Basile, Henri Darres et Pierre Gendrault ont été déclarés « morts pour la France » en 1945.
SOURCES :
THÉBAULT Michel, « Basile, Jules, Léon, Maurice », « Darres, Henri, Paul, Charles » et Gendrault, Pierre », Le Maitron Dictionnaire biographique Fusillés Guillotinés Exécutés Massacrés 1940-1944 (en ligne sur internet).
Pierre Gendrault : https://fusilles-40-44.maitron.fr/?article189629
Jules Basile : https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article189632
Henri Darres : https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article189686