Le drame de Verrières
L’attaque par les troupes allemandes et les miliciens du commando Tonkin et le témoignage de Denis Chansigaud
Le 25 juin, le commando Tonkin part s’installer dans la forêt de Verrières.
Le 27 dans la soirée, le sergent Ecclet et le caporal Bateman partent à bord d’une jeep en mission d’observation au tunnel de Saint-Benoît.
Le 29, ils sont faits prisonniers et emmenés à Poitiers où ils sont interrogés et torturés par la Gestapo. Ils ne parlent que le 3ème jour pensant que le commando a quitté la forêt de Verrières en fonction du principe de sécurité qui était le suivant :
– le 1er jour, personne ne sait rien
– le 2ème jour, nous sommes repérés
– le 3ème jour, l’ennemi est au courant
– le 4ème jour, nous sommes partis
Le 3 juillet, les Allemands accompagnés du S.D. (Police Militaire) et de la milice, soit environ 800 hommes, encerclent la forêt de Verrières vers 5 heures du matin. Hans Fuller, du S.D. raconte : « Nous étions dans le bourg de Verrières endormi lorsque nous avons vu un homme avec un béret de parachutiste qui poussait une brouette. Nous l’avons suivi et capturé au moment où il ressortait du village. Sous la menace, il nous a indiqué la direction où se trouvait le camp des parachutistes ».
Le combat s’engage vers 7 heures.
Le capitaine Tonkin met en batterie la mitrailleuse Vickers avec laquelle il tient les Allemands en respect.
L’écrasante supériorité numérique de ceux-ci ne permet pas de continuer le combat et il ordonne la dispersion par petits groupes puis il retourne au campement récupérer le code radio dont la possession aurait permis aux Allemands de déchiffrer les messages adressés aux S.A.S.. Il plaça ensuite un crayon explosif sur la jeep.
Pendant ce temps, les Allemands avaient activé le bouclage de la forêt et toute fuite devenait impossible. Tonkin décida alors de se dissimuler dans une touffe de ronces et de broussailles contre un rocher. Il y restera plusieurs heures et, par une chance incroyable, les Allemands ne le découvrirent pas et échappa ainsi au massacre.
Mais d’autres en réchappèrent aussi. Denis Chansigaud dormait encore dans le camp au moment de l’attaque. Voici son témoignage :
« Il fait jour depuis longtemps, je suis couché dans la bruyère, au milieu de mes camarades. J’ai sur moi ma veste de camouflage et mon béret rouge du 1er S.A.S. près de moi. A portée de main, j’ai la mitraillette et les grenades ainsi que mon pistolet à la ceinture.
Tout d’un coup, j’entends des rafales de mitraillettes qui me semblent très proches et provenant de la direction du village. Les sentinelles n’ont, sans doute, auparavant, rien entendu d’anormal.
C’est le branle-bas de combat. Les armes automatiques sont mises en batterie avec un sang-froid remarquable de la part des Anglais. Les responsables des jeeps sautent aux mitrailleuses. Nous regardons autour de nous, nous ne voyons rien puis, tout à coup, à une quinzaine de mètres de nous, nous apercevons à l’orée du bois un groupe d’une douzaine d’hommes en tenue camouflée venant dans notre direction. Pas de doute, ce sont bien des Allemands, ils sont couverts de petites branches et cherchent à nous voir. Ils ne savent pas très bien où nous sommes alors que nous les voyons parfaitement bien. Mon camarade Choisy qui avait préféré comme arme un fusil au lieu d’une mitraillette vise et tire sur celui de tête. Les Allemands se jettent à terre. C’est le déclenchement de la fusillade. Tout le monde tire. Les Allemands qui sont nombreux et nous entourent ouvrent sur nous un feu d’enfer.
Les Anglais se rassemblent. Nous nous regroupons autour de notre chef Maurice.
Plusieurs Allemands foncent dans les broussailles en face de nous. Nous leur lançons des grenades puis nous décrochons en reculant vers le ruisseau. A ce moment-là, j’aperçois venant en courant et passant au milieu de nous au milieu des balles, Marcel Weber, qui se tient la jambe en sautillant et se dirige vers le centre de la forêt. Un Anglais, avec un brassard de la Croix Rouge apparent et sa boîte de première urgence, suivant Weber, passe flegmatiquement devant nous, se baissant à peine en entendant les balles siffler.
Très bien armés et entraînés au combat, les Anglais réagissent très vite ce qui nous permet de reculer pour essayer d’échapper aux Allemands. Sur notre gauche, en contrebas, nous voyons à une centaine de mètres de nous une forte colonne allemande qui avance en ouvrant le feu dans notre direction.
Nous continuons notre repli avec quelques Anglais et la totalité des camarades français, sauf Weber, blessé, qui continue seul, et 2 camarades manquant. Ils ont été faits prisonniers dans le village et l’un deux, Pierre Lecellier, est un très bon copain. « Maurice » est avec nous. Nous traversons une partie du bois sous le feu nourri de l’ennemi.
A l’approche de la route, le tir diminue. Nous nous massons sur la lisière du bois et, entraînés par notre chef « Maurice », nous traversons la route. Pas un coup de feu n’est tiré ce qui nous semble bizarre. Nous nous croyons sauvés car nous sommes déjà à cinq ou six cent mètres de notre camp. Les Allemands sont silencieux et ils nous laissent entrer dans la « gueule du loup ». Nous traversons un autre petit bois. Arrivés là, nous nous regroupons autour de notre chef « Maurice » et de quelques Anglais dont le lieutenant Stephens.
Nous essayons, en rampant, de nous sauver en traversant un champ de blé. Alors que nous sommes à une vingtaine de mètres du bois, les Allemands, embusqués, ouvrent le feu avec des mitrailleuses. Par malheur, le terrain monte de plus en plus. Plus nous avançons, plus le tir se rapproche. Les épis de blé nous tombent sur la tête. Si nous voulons éviter d’être décimés sur place, nous faisons demi-tour. Le lieutenant anglais est blessé. Il se traîne, s’allonge en bordure du bois et nous fait signe de partir.
Nous tentons de traverser un peu plus loin. Hélas, les Allemands tirent de partout. Maurice nous dit : « Attendez-moi ici, je vais voir plus loin, s’il n’y a rien, je reviens vous chercher ». Malheureusement, il n’est pas revenu. Nous le pensions mort mais il avait réussi à se sauver seul par les champs. Peut-être ne pouvait-il plus revenir vers nous, le tir se concentrant de plus en plus. Pendant ce temps, les Allemands se rapprochaient. Des obus de mortier, des grenades éclatent partout.
Nous sommes encerclés. Nous nous retrouvons à quatre ou cinq français près de « La Couarde ». Les Allemands crient. Nous tirons dans leur direction. Arrivés près d’un tas de fagots, un camarade nous propose de nous cacher dessous mais nous avons peur d’être retrouvés et brûlés vifs par les nazis. Nous préférons continuer. Nous passons près d’un gros chêne. Nous essayons d’y grimper. Seul Pierre Crest, très leste et excellent grimpeur, réussit en s’accrochant avec ses ongles et la pointe des pieds à l’écorce de l’arbre. Il grimpe jusqu’en haut. Nous lui faisons un signe d’adieu. Le tir de l’ennemi devenant de plus en plus dense, nous sommes obligés de nous séparer en rampant dans la fougère.
Les balles ricochent partout. Mon camarade Choisy part seul vers ma gauche (il sera retrouvé tué au milieu de la fougère bordant la route). Les Allemands arrivent de tous les côtés. D’un bond, je saute dans le champ près de la route. Ils me tirent dessus. Un camarade anglais, sorti de je ne sais où, me suit. Je veux traverser ce buisson pour repasser dans le champ mais il y a une trentaine d’Allemands à quelques mètres.
Impossible de retourner dans le bois. Je me couche au milieu de ce buisson qui, par bonheur, est recouvert de lierre. En rampant, j’arrive à me retourner et à me mettre sur le dos afin de mieux voir ce qui se passe. Je pose ma mitraillette près de moi pour éviter d’être vu et je prends mon colt dans la main, le doigt sur la détente, prêt à faire feu sur le premier qui se présentera.
Ce buisson est assez large mais peu épais. L’Anglais qui me suit vient se cacher à deux ou trois mètres de moi au pied de l’arbre. Il se met à genoux, prêt à faire feu avec sa carabine automatique. Les Allemands nous lancent des grenades. Une d’entre elles tombe tout près de moi. Le souffle de l’explosion me fait sursauter. Je pense qu’il ne me reste que peu de temps à vivre, ne me faisant aucune illusion sur le sort qui me sera réservé si je tombe entre leurs mains. Ils mitraillent le buisson, puis s’approchent lentement, le fouillent, trouvent le para anglais qui lève le bras, ne pouvant rien faire d’autre et pensant certainement être considéré comme prisonnier de guerre par les Allemands (combattant en uniforme anglais, il ne pouvait être considéré comme franc-tireur).
Un Allemand prend sa carabine et l’assomme sur la route. Les autres passent et repassent, tirant dans tous les sens. Je vois de ma cachette des dizaines d’Allemands venir de partout. Je me trouve au milieu d’eux. Il en vient toujours. Ils semblent se rassembler ici. Les tirs diminuent. J’entends quelques rafales, quelques coups de feu de loin en loin puis des cris.
De l’autre côté de la route, je distingue quelques Anglais prisonniers et sévèrement gardés. Sur la route, des véhicules passent sans cesse. Je n’ose bouger la tête pour mieux voir, de peur d’être repéré. Puis, tous s’agitent, j’entends de nouveau des bruits de voiture. Je vois alors une Traction-avant noire qui vient s’arrêter près de moi sur le bord de la route de La Couarde.
Des Allemands s’approchent, saluent en criant. Des civils et des militaires descendent, se dirigeant à l’angle du bois près de la route, à une quinzaine de mètres de moi. Je ne bouge pas. Quelques uns passent, tous causent très fort. Je ne comprends pas ce qu’ils disent.
Puis, tout à coup, des rafales de mitraillettes, des coups de feu séparés. Ce sont les derniers. Ils viennent de fusiller et de donner le coup de grâce à mes camarades prisonniers.
Soldats et civils traversent la route et vont dans le champ où sont rassemblés leurs hommes. Ils rient, serrent des mains, crient, passent à peine à deux mètres de moi. Je suis prêt à tirer pensant qu’ils vont me voir. Puis ils s’éloignent, remontent dans leur voiture et repartent. Je fais ouf !
Sur un ordre hurlé très fort, les Allemands s’assoient, vérifient leurs armes. J’entends partout des cliquetis d’armes. Je pense qu’un d’entre eux m’a vu et me vise. J’appuie ma tête le plus possible ; je sens mon cœur battre très fort. Rien ne se passe. Cela recommence des dizaines de fois.
Maintenant ils commencent à manger, assis le long du buisson côté champ et côté route, tout près de moi. Ils jettent les coquilles d’œufs et les boîtes de conserves dans le buisson.
Il se met à pleuvoir. Un écureuil venant du bois vient en sautant de branche en branche juste au-dessus de moi. En me voyant, il crie de toutes ses forces. Les Allemands saisissent leurs armes. J’ai très peur. S’ils tirent, il va tomber à mes pieds et je serai découvert. Enfin, l’écureuil se sauve dans le bois. Encore une chaude alerte de passer !
Les gouttes d’eau ruissellent sur mon visage. Je ne peux pas passer ma main pour m’éponger car je risque d’être vu. La pluie cesse un peu. Les Allemands, le repas terminé, se lèvent et vont se rassembler sur la route.
Des hommes avec un brancard passent près de moi et regardent dans le buisson. Ma veste camouflée se confond parfaitement avec les feuilles et ils ne me voient pas.
Une partie des hommes monte dans les camions. Il passe des side-cars et d’autres véhicules puis le calme revient.
Je n’ai aucune notion de l’heure, ma montre s’étant arrêtée. J’attends encore de longs moments. J’écoute, je rampe avec précaution, je regarde côté champ, plus rien. J’écoute de nouveau, je me glisse côté route, j’entends seulement des bruits de camions très éloignés. Je suis tout engourdi, je dois attendre encore quelques instants avant de me décider à sortir de ma cachette. Je passe mon Colt à la ceinture et, mitraillette à la main, je traverse la route puis un champ de blé en direction du village. Un lièvre se lève sur mon passage, je m’arrêt’ une fraction de seconde, ne sachant tout d’abord pas ce que c’était et à qui j’avais à faire. Je traverse le village en courant. Les gens, apeurés me crient de continuer car les Allemands viennent juste de partir.
Je traverse d’autres champs, ne sachant même plus quelle direction prendre. Je suis tout déchiré et très fatigué. J’arrive près d’un étang. En m’engageant dans un passage entre les roseaux, pour sauter dans l’eau, j’aperçois devant moi une tête qui bouge. Je suis toujours sur mes gardes, prêt à tirer. Une femme, accompagnée d’un enfant, sort des roseaux et me raconte qu’elle a réussi à se sauver de Verrières où les Allemands tentaient de rassembler tout le monde.
Ce sont les premières nouvelles depuis le matin. Je saute dans l’eau de l’étang et là, bien caché, j’attends la nuit pour sortir. Avec précaution, je m’éloigne de l’étang, trempé, déchiré mais sauvé ».