L’unique évasion de la prison de la Pierre-Levée de Poitiers de 1941 à 1944
Seul prisonnier à s’être évadé de la prison de la Pierre-Levée durant l’occupation allemande, Emmanuel Durosier relate avec précision l’épopée de cette évasion. Cet acte courageux, à la fois de survie et de résistance contre l’envahisseur nazi et ses complices du gouvernement Pétain de Vichy, rejoint la lutte de tous les résistants qui se sont levés pour la libération de la France et la restauration de la République.
Le seul prisonnier qui réussit à s’évader de la prison de la « Pierre Levée » ce 2 mai 1943 fut Emmanuel Durosier.
Arrêté en février 1943 il fut conduit à la prison de la « Pierre Levée » qui avait été complètement investie par les Allemands. Les hommes du service de sûreté le sinistre SD (Sicher heits dienst) parlaient couramment le Français sans accent et menaient donc les interrogatoires souvent avec bestialité comme nous l’avons vu dans les locaux mêmes de la prison. Un certain Willy alors gardien était particulièrement haï. Mais à la section de renseignements dont le siège se tenait rue Boncenne se trouvaient également des Français tels l’odieux Bercy, véritable sadique.
Durosier se rendit rapidement compte que les Allemands ne possédaient que peu de renseignements sur lui et ignoraient donc ses véritables activités. Il ne fut jamais brutalisé par Becker qui menait les interrogatoires. II nia tout en bloc.
Les jours passaient et cet homme d’action étudiait déjà les lieux et les habitudes de la prison. Communication, contacts entre détenus se faisaient discrètement à l’insu des geôliers pourtant vigilants. Deux fois par semaine, une corvée accompagnée de gardiens armés se rendait à l’intendance de la prison. Mais Durosier remarqua que les Allemands ne les fouillaient pas à la sortie. A la cuisine, on dérobait du papier que l’on dissimulait ensuite dans les wc. Quelques détenus avertis se rendaient à leur tour dans les wc et récupéraient le papier, support de précieux messages transmis tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la prison.
Tous les Allemands prenaient leurs repas au même moment au même endroit. Durosier pensa qu’une attaque menée à la prison par un groupe armé et décidé pourrait intervenir. Il suffirait de sonner, couper les fils téléphoniques, menacer se faire conduire dans la prison et neutraliser les Allemands prenant leur repas.
Mais ce plan jugé dangereux et irréalisable fut abandonné. Il fut convenu que Durosier serait aidé mais s’évaderait par ses propres moyens. Instructions lui seraient données ultérieurement pour l’avertir de la nuit choisie.
Un après-midi, « Bruno », un gardien allemand reconnaissable à son pas traînant dans les couloirs qui menaient aux cellules vint ouvrir sa porte. « Monsieur, gros colis ». Et il déposa un colis ouvert, fouillé avec une boule de pain tailladée dans le sens de la longueur. Durosier une fois seul explora le pain. Deux lames de scie y étaient incluses. Il les dissimula dans la cellule. Le soir, un violent orage éclata et dura une grande partie de la nuit, ce qui permit de scier la moitié d’un barreau. II fallut ensuite cinq jours, en prenant mille précautions, pour scier le haut et le bas des barreaux avant la tombée de la nuit. Il devait mouiller les lames avec sa salive pour les refroidir et faire tenir les barreaux avec de la mie de pain.
Cependant aucun signe ne lui parvenait. Une nuit il y eut un exercice à l’extérieur de la prison et des projecteurs allumés. Etrange et de mauvais augure. Un vendredi ou un samedi peut-être une détenue qui venait du camp de la route de Limoges leur apprit qu’un Espagnol en fait un mouchard avait été « descendu » ce qui expliquait cette surveillance renforcée. Dans la cour durant la promenade deux femmes parlaient en le regardant. Il était intrigué. A peine de retour dans sa cellule, on frappa. Un SS entra. Nom prénom et religion ? ». Durosier comprit tout de suite qu’il avait été désigné parmi les otages qui devaient être fusillés en représailles de l’Espagnol. En désespoir de cause il décida de manger une partie des provisions qu’il avait dissimulées pour son évasion. Mais une note émanant de la préfecture différa son exécution. On vint le chercher pour le conduire dans une pièce. Bletel un inspecteur de laSAP commença à le frapper dès son entrée. Durosier restait muet. Quelques heures plus tard, Rousselet patron de la Sap entra à son tour. « Tu ne veux pas parler, pourtant on sait tout ». Et il donna des détails concernant des faits précis y compris des noms de camarades. Puis ouvrant une porte il lui présenta un homme qui avait été atrocement torturé auparavant qui confirma ce que Rousselet avait annoncé.
Ramené dans sa cellule, Durosier comprit qu’il n’avait plus de temps à perdre et qu’il ne devrait compter que sur lui-même. II avait dans sa cellule une couverture récupérée par un gardien compatissant. II la coupa, la tressa, la testa dans sa cellule pour en éprouver la solidité. Il y accrocha une cuillère récupérée et façonnée comme un grappin. Il était prêt. Il attendit la ronde d’une heure et quand le pas traînant de Bruno s’estompa, il enleva les barreaux laissa pendre sa corde de fortune et se retrouva à terre. Il recouvrit ses chaussures de ses chaussettes pour en amortir le bruit, emprunta le chemin de promenade et arriva à la maison du gardien chef de l’époque, Gay, absent ce jour-là. Il fallait grimper au premier étage puis se hisser sur le toit. Par ce mois de mai, la fenêtre de la chambre des enfants était ouverte. Malgré ses précautions, il cassa en marchant une tuile du toit. Le bruit attira madame Gay qui vint à la fenêtre. Il se coucha sur le toit. Il pensa que madame Gay avait compris, mais elle ne se manifesta pas. Il marcha sur le toit cassa une deuxième tuile atteignit enfin la barre la plus haute et fixa la corde. Quelques secondes plus tard il se trouvait quinze à vingt mètres plus bas, libre. Il contourna la prison, s’enfuit en passant à proximité du parc à fourrage à cette époque et se dirigea vers les champs proches. La ville de Poitiers n’était pas urbanisée comme aujourd’hui. Mais l’alerte avait déjà été donnée. Des voitures sillonnaient les routes. Il se dirigea vers une ferme qu’il connaissait entre Bignoux et la route de Chauvigny. Il reconnut le chemin de terre qui conduisait à la ferme et frappa. I1 se rasa, mais on le conduisit dans le bois voisin par précaution. On l’avertit qu’on l’y viendrait chercher le soir. Effectivement, Quintard vint le chercher, le conduisit à Montamisé d’abord, puis à Dissay chez monsieur Prenant, le menuisier, chez qui il resta jusqu’en juillet.
Durosier entrait dans la légende. Il fut le seul prisonnier à s’évader de la prison de la « Pierre Levée » pendant l’occupation.
Récit rédigé par Louis -Charles Morillon d’après le témoignage oral de monsieur Durosier enregistré sur magnétophone.