Récit de l’arrestation de Louis Renard par son épouse
Manuscrit de Madame Louis Renard du 17 novembre 1944
« Je, soussignée, Madame Louis Renard, demeurant 10, passage d’Auxances à Poitiers,
certifie qu’au cours de la perquisition faite à son domicile dans la nuit de 29 au 30 août 1942, de 8 heures du soir à 4 heures du matin, elle fut gardée avec ses six enfants dans une pièce du rez-de-chaussée, par deux policiers armés chacun d’un revolver sous la menace des menottes. A tour de rôle mes quatre grands enfants et le tout petit âgé de 5 ans, furent appelés par M. Larrieux dans le bureau de mon mari où il perquisitionnait, lui-même, aidé de l’inspecteur Tramont. Il voulait les faire parler contre leur père.
A ma fille aînée, âgée de 19 ans, il lui dit : « Votre père est un mauvais Français, un lâche, il a pris la fuite et laissera arrêter votre mère à sa place. »
Quant au petit, je n’ai jamais pu savoir ce qu’il lui avait dit. L’enfant, pressé par moi de questions après leur départ m’a répondu en fondant en larmes : « Maman je ne te dirai jamais ce qu’ils m’ont demandé ; ils m’ont dit que si je te le répétais ils mettraient mon papa en prison et je ne le reverrai plus jamais. »
Larrieux joua la grande scène pleine de ridicule quand il me fit appeler au cours de la nuit pour agiter devant mes yeux un chargeur de revolver muni de 4 ou 6 balles « voici ce que votre mari avait placé à 50 cm de l’endroit où vous dormez ». Extrêmement troublée sur le coup je n’arrivais pas à comprendre ce qui me tombait. Me ressaisissant après quelques instants, je lui demandais de me montrer cet endroit précis. On me conduisit dans la chambre, un tiroir était ouvert, on me dit : « c’est là ». En effet la lumière se fit à ce moment dans mon esprit et je donnais l’explication suivante, en toute sincérité : « Quand mon mari partit à la guerre en 1939, comme engagé volontaire, il me dit de lui mettre son revolver dans ses bagages, ce que je fis, sans songer qu’il fallait l’accompagner du chargeur ». Voilà comment le chargeur était resté là, mais le revolver n’y était pas.
Cette explication n’a pas été estimée vraie, puisqu’il emportait le chargeur dans les pièces à conviction, faute de choses plus importantes.
Larrieux et ses quatre larrons quittèrent la maison le dimanche un peu après 4 heures du matin, en me disant, après m’avoir menacée toute la nuit de m’emmener et m’avoir fait préparer une valise : « on vous laisse pour le moment, mais faites dire de toute urgence et par n’importe quel moyen à votre mari de rentrer ; on vous laisse jusqu’à lundi matin neuf heures, nous reviendrons ce jour-là et s’il n’est pas présent, c’est vous que nous arrêterons à sa place ».
Le dimanche à 11h30, l’inspecteur Tramont sonnait à ma porte et me disait : « Prenez une valise, j’ai ordre de vous arrêter immédiatement, vous devez me suivre ».
Je dois citer ici le rôle de Tramont, qui explique la disparition de mes deux fils une demi-heure plus tard ; comme il entre dans le couloir, il trouve un jeune homme.
– « Qui êtes-vous ?»
– « L’ami du fils »
– « Que lui voulez-vous ? »
– « Je viens lui proposer de venir faire une promenade cet après-midi »
– « Bien les enfants sont libres puisque j’emmène la mère. »
Comme je pars, précédée de Tramont, mon fils aîné âgé de 18 ans vient m’accompagner jusque sur le seuil.
Comme la porte allait se refermer, Tramont lui dit : « puisque vous voulez vous promener cet après-midi, je viendrai vous prendre à 1h en voiture. Comme je ne connais pas les environs, vous me conduirez à Ligugé où je dois prendre votre père. »
Je lui dis le plus naturellement possible : « tu iras ? ». Il laisse tomber sa tête, signe que l’on aurait pu prendre pour un acquiescement, à condition de ne pas le connaître.
Bien entendu quand Larrieux et Tramont vinrent le chercher en voiture, mon fils aîné était parti emmenant son frère de 17 ans.
C’est pourquoi le lendemain, au cours de mon interrogatoire à l’Intendance de Police qui dura de 15 heures à 20 heures 30 il fallait apprendre de moi le nom du jeune homme rencontré à la maison, et savoir où mes fils avaient pu trouver asile, puisque recherchés toute la nuit précédente et la matinée, on n’avait pu mettre la main dessus.
« Il m’a bien trompé votre fils » me dit Tramont, « il me donnait l’impression d’un garçon franc et sincère ».
Comme je ne savais ni le nom du jeune homme, ni l’endroit où s’étaient réfugiés mes fils, pas plus que je ne connaissais le nom des amis que mon mari avait à Poitiers, ou recevait chez lui, encore moins ce qu’il avait fait au cours d’un voyage de huit jours en Touraine, deux semaines auparavant, Larrieux eu une odieuse attitude : « Vous êtes une drôle de femme, me dit-il maintes fois. Votre mari part en voyage, vous ne savez où il va, ni qui il verra, à son retour vous ne lui avez rien demandé …vous ne connaissez pas les camarades de vos fils, ils peuvent fréquenter n’importe qui, tout vous est indifférent. Vous jouez en ce moment la tête de votre mari et de vos deux fils. Vous vous y prenez si bien que par votre faute, vous serez arrêtée ; nous arrêterons vos fils, votre fille, votre mari est déjà en prison. »
A cela j’ai répondu : « ce n’est pas mal, qui est-ce qui élèvera les trois enfants qui restent ? »
D’une voix cynique, il m’a lancé : « on les mettra à l’Assistance publique ».
Jusqu’à la dernière minute, tout faisait prévoir que je monterai le soir à la prison. J’ai l’impression que mon sort a été joué à pile ou face.
J’ai été conduite de nouveau de l’Intendance de police au Commissariat, gardée à vue avec trois inspecteurs dont Larrieux, deux pas derrière moi. Ce n’est que devant l’Hôtel de Ville que l’un deux m’a dit : « vous pouvez rentrer chez vous ».
Mon mari, qui après son arrestation me faisait passer de temps en temps quelques billets clandestins, m’a écrit un jour : « j’aurais assez à dire de la police Française. Je me borne ici à signaler que toutes les fois que Larrieux a pu trouver à me nuire en présence des inspecteurs allemands, il n’a pas hésité à le faire, allant jusqu’à insister sur les points susceptibles de les intéresser plus particulièrement ».
En terminant, j’indique qu’il serait souhaitable que Larrieux soit transféré à Poitiers, où il pourrait lui-même être entendu utilement sur le rôle de certains responsables et dénonciateurs »
Article rédigé et mis en lignes par Sabine Renard-Darson