Parcours d’un KG – KG prisonnier de guerre

Lorsque le 3 septembre 1939 le gouvernement français indécis déclare la guerre à l’Allemagne suite à l’invasion par cette dernière de la Pologne, deux stratégies vont s’affronter. Le commandement français, encore imprégné de la guerre 1914-1918, en ayant construit la ligne Maginot et fortifié des places fortes, reste convaincu d’une guerre de position où l’on attendra l’ennemi. Les stratèges allemands prônent une guerre mobile en produisant chars d’assaut et avions pour surprendre, encercler et pilonner l’ennemi.

169ème RAP (coll. LC Morillon)

André Roucher est l’aîné d’une famille de huit enfants. Son père, gendarme, décide qu’il sera militaire. Il intègre donc l’École d’Enfants de Troupe de Fontainebleau à 13 ans. A l’âge de 18 ans à sa sortie de l’école, il commence donc une carrière militaire. A 27 ans, il se marie à Poitiers le 12 octobre 1938. Il sera muté à Nancy.
Il rejoint en 1940 Sedan puis Épinal et retrouve le 169ème régiment d’artillerie (169ème RAP photo 1). C’est un régiment pour positions fortifiées tel qu’il en existait dans le Nord-Est. Il a alors le grade de Maréchal des-Logis-chef et commande une batterie composée de soldats africains (photos 2 et 3).
C’est « la drôle de guerre » comme on disait à l’époque, une guerre de position, où l’on attend l’ennemi. Celui-ci ne se fait pas attendre et la soudaineté des attaques allemandes, malgré quelques points de résistance, submerge complètement une armée française absolument pas préparée à cette guerre de mouvement.
1 840 000 soldats français seront faits prisonniers en quelques semaines.
Le 19 juin 1940 André Roucher est fait prisonnier sur le lieu de son cantonnement à Épinal au fort La Mouche et est dirigé au Frontstalag 121 à Epinal (matricule 1346) jusqu’en avril 1941.

Cette captivité au Frontstalag 121 d’Épinal ne semble pas rigoureuse d’après les photos personnelles annotées d’André Roucher (photos 4 et 5). Soldats français mais aussi africains et annamites sont gardés par des Autrichiens débonnaires voire fraternels (photo 6, lors d’une pause). Les prisonniers se doivent de correspondre avec leur famille afin de leur apprendre leur captivité. Une lettre et deux cartes personnelles par semaine sont permises avec franchise militaire française (FM) et allemande (Kriegsgefangenenpost). Ils peuvent également recevoir des colis. Leur circulation n’est guère drastique à l’intérieur du périmètre de captivité. On peut dans ces conditions s’étonner, aujourd’hui, du faible nombre d’évasions puisque seules 80 000 évasions ont été recensées de juin 1940 à novembre 1942. Ce serait faire abstraction du contexte de l’époque. En fait, l’armistice envisagé par Pétain dans son allocution du 17 juin 1940 apporte soulagement chez les civils désemparés et acceptation du cessez le feu chez les militaires démoralisés. « La discipline étant la force principale des armées, il importe que tout supérieur reçoive de ses subordonnés une obéissance absolue et sans murmure ». La rumeur court que tout évadé repris sera fusillé. Officiers et militaires de carrière convaincus que « le Maréchal » accélérera leur démobilisation dissuadent les soldats de toute tentative d’évasion qui ne ferait que compromettre cette libération et les encouragent à la docilité. Utopie d’un tel raisonnement puisque fin avril 1941, André Roucher et certains de ses camarades seront conduits en wagons à bestiaux à Stablack au Stalag IA en Prusse Orientale jusqu’en 1943.

Ce Stalag IA près de Koenigsberg est immense. Sa construction commencée en 1938 par des Polonais comprend à son achèvement 40 baraquements de 400 à 500 places. Mais il est particulier. A cette époque, Georges Scapini ambassadeur choisi par Pétain, est chargé des relations franco-allemandes concernant les prisonniers de guerre en Allemagne. Il demande entre autres que les étudiants sous-officiers donc non admis dans les Oflags réservés aux officiers soient installés dans de bonnes conditions pour pouvoir étudier. Cela sera mis en application à Stablack et le Stalag IA deviendra le « Stalag des Aspirants » (Aspirantenlager). Des baraquements leur sont attribués et leurs conditions d’existence bien différentes de celles des autres prisonniers. L’encadrement selon la rigueur militaire structure cet ensemble, notamment, avec le capitaine Georges Lartigue médecin chef à l’infirmerie.
Chorale, théâtre, expositions sont organisés.
C’est dans ce contexte qu’André Roucher intègre le Stalag le 2 mai 1941. Les photos (7 et 8) montrant ces militaires aux uniformes impeccables et aux bottes cirées confirment l’apparence d’un camp convenable. Le 31 juillet 1941, Georges Scapini et le général Didelet visitent le camp (photo 9) ainsi que l’exposition préparée par les prisonniers. Didelet constitue un « Mouvement Pétain » dans le but d’engager les aspirants dans la « Révolution Nationale » prônée par Vichy. La brochure « Francisque » éditée par Vichy et « Trait d’union », journal de propagande nazie, sont mis à leur disposition. A partir d’octobre 1941, ils recevront les journaux français « Paris Soir », « Le Matin », « La Gerbe » (également un organe de presse de propagande de Vichy) et le magazine « Illustration ». Les militaires maréchalistes participent donc à ces propositions de Didelet alimentant ainsi la propagande collaborationniste de Pétain et celle des nazis, instrumentalisant la vie des camps de prisonniers. Ils reviendront plus tard sur leur erreur. Car la vérité est d’une tout autre réalité. Les Kommandos de travail existent et les prisonniers, main-d’œuvre gratuite et permanente, doivent effectuer le travail au quotidien. André Roucher ainsi que ses camarades Boinard, Bonnet, Charlot, Druet, Dubois, Lambert, Lochon, Noyer, Poupault, Tournier (photo 8) sont donc répartis dans les différents Kommandos dirigés vers de très nombreux lieux de travail. André Roucher travaille entre autres dans une pêcherie près de Koenigsberg.

En 1943 c’est le transfert vers le Stalag III A de Lückenwalde près de Potsdam.
De 1941 à 1943 la souffrance de la captivité devient prégnante. Cette misère commune induit cependant des comportements différents. Si la grande majorité se résigne, une résistance s’installe au Stalag IIIA sous l’impulsion de deux instituteurs Félix Franc et Camille Lectrique. Ils vont tenter de propager cette résistance par la création d’un journal. Les articles sont manuscrits et dupliqués par du papier carbone. Ce journal ayant pour titre « Le Kartoffe » (la pomme de terre, base de la nourriture des prisonniers) va circuler de main en main.

Extraits tirés d’un dossier spécial Forez 1940-1944 publié le 20 mai 2007.
« Je jure de ne jamais me faire, même par mon silence, le complice des égoïstes et des puissants. »
« Le combat que nous proposons sera rude, nous le savons, mais cela vois-tu ne pourra qu’exalter notre foi et notre envie de vaincre. Chaque jour sur toi déferlent et tombent des tonnes de mensonges sous forme de tracts d’Union, d’Échos de Nancy etc. A nous de t’ouvrir une fenêtre sur la Vérité , à nous de t’aider à te débarrasser de ce fatras de palabres, formules et slogans plus ou moins maréchalistes qui n’ont pour but que de t’aveugler et fausser ton jugement. A nous de t’apporter la saine nourriture qui permet de tenir et d’œuvrer péniblement. »

Le temps bien long va, lentement, s’écouler jusqu’en 1945. Le 8 juin 1945 les Soviétiques libèrent les prisonniers qu’ils acheminent par camions au gré de leur avance. Après avoir traversé la Mulde, affluent de l’Oder, ils atteignent Halle où ils sont remis aux Américains. S’ensuit alors un repli vers l’ouest, Leipzig, Mayence. Le 29 juin, André Roucher (photo 10) reçoit sa carte de rapatrié (documents 11 et 12) et retrouve enfin les siens route de Chauvigny à Poitiers.

Rédigé par Louis-Charles Morillon

Sources :

– Notes succinctes d’André Roucher.
– Archives Nationales des Armées, cotes 72 AJ/2623, 72AJ/2633.
– « La captivité » (histoire des prisonniers de guerre français de 1939 à 1945), Yves Durand, édité par la Fédération Nationale des Combattants Prisonniers de Guerre, 2ème édition revue et corrigée.
– Dossier spécial Forez 1940-1944 publié le 20 mai 2007. Site internet : www.forez-info.com.